S’il y a une pièce que j’attendais avec impatience, c’est bien ce Cyrano monté au Français par Denis Podalydes. Cyrano, ses vers, sa tirade, SES tirades, sa démesure (tous ces vers, tous ces actes, tous ces décors, tous ces personnages, tout ces… tout ce qui fait de Cyrano un monument du théâtre français à mes yeux). Je me faisais donc une joie d’y aller… et j’en sortis perplexe. Fort perplexe même.
L’ouverture est assez bien menée avec une présentation de l’histoire de la pièce et de ses représentations au Français même : sur un écran situé au-dessus de la scène défilent les images vidéo de Jean Piat, Ludmila Mickael, André Brunot qui s’installent dans la salle pour la représentation. Nostalgie et sourires affluent aux lèvres des spectateurs. Et puis le tout s’embrouille un peu, nous nous retrouvons dans une mise en scène un peu trop foutraque pour y trouver un fil conducteur. En vain on cherche, parmi les décors, alcôves, portes installées au milieu de la scène, escaliers dissimulés, quelque chose qui regroupe ce fourmillement d’idées en une intention précise. Mais non, on a là une succession d’idées empilées les unes sur les autres sans lien quelconque. Seule la pâtisserie de Ragueneau emporte les suffrages avec sa scénographie absolument magnifique, ses gibiers, cerfs, volailles suspendus, ces piles d’assiettes et de pichets qui descendent et remontent dans un clair-obscur époustouflant de beauté. C’est somptueux et j’en rêve encore, merci Eric Ruf pour ce moment de pure magie théâtrale.
Et puis le balcon, la fameuse scène. Elle commence joliment avec une Roxanne toute frissonnante à sa fenêtre…fenêtre et balcon qui vont être enlevés par des techniciens laissant notre amoureuse suspendue aux lèvres de Christian / Cyrano et dans les airs, retenue par quelques filins sur un fond de scène en feuillage peint. Roxanne plane, semble voler, simule des mouvements d’aile avec ses bras…tandis que Cyrano est au sol. Mais les mots suffisent, le texte n’a pas besoin d’être souligné de cette façon et cette intention d’envol m’a laissée à terre, pour ne pas dire atterrée.
Tout comme le reste, à l’avenant. Les costumes de Christian Lacroix sont certes jolis mais encore une fois ne semblent pas relever d’une intention précise, mélangeant les styles et les époques. Ils siéent pourtant aux comédiens mais cela n’est pas assez. Quant au jeu, justement, je finirai en disant que mon Cyrano (Michel Willermoz, qui est pour moi un grand, très grand comédien) débite la tirade du nez très rapidement, trop, ne laissant pas au spectateur le plaisir de savourer les mots, les intentions, les alexandrins si drôles et impertinents. Il est un Cyrano passionné, mais pas passionnant. Françoise Gillard est une Roxane amoureuse certes mais plus affectée que naïve, elle n’arrive pas à convaincre. Hervé Pierre, formidable Ragueneau, fait rire et la recette des madeleines est un plaisir à écouter. Didier Sandre est un Guiche un peu fade et distant tandis que Loïc Corbery un bon Christian, oui, mais cela ne suffit plus, à mes yeux.
Comment finir ? Je ne sais pas. La déception fut là, même si la scénographie est souvent déroutante de beauté. Mais j’irai revoir, encore et encore, mon Cyrano, où qu’il soit joué. Parce que cette pièce, ma foi, c’est un chef d’œuvre, et que même moins réussie à mes yeux, je l’aime encore. Je l’aime tellement que j’irais peut-être encore, la voir, cette version du Français, en espérant changer d’avis. Trouver la magie, m’abandonner à la magie. Qui sait ?
Cyrano de Bergerac – Edmond Rostand – MES Denis Podalydes
Costumes Christian Lacroix, Scénographie Eric Ruff
Comédie Française salle Richelieu
Avec : Véronique Vella, Michel Favory, Cécile Brune, Sylvia Bergé, Christian Blanc Alain Lenglet, Françoise Gillard, Jérôme Pouly, Laurent Stocker, Laurent Natrella, Michel Vuillermoz , Elsa Lepoivre, Christian Gonon , Julie Sicard, Loïc Corbery , Hervé Pierre ,Nicolas Lormeau, Gilles David , Stéphane Varupenne, Clément Hervieu-Léger, Nâzim Boudjenah, Pierre Hancisse, Claire de La Rüe du Can Didier Sandre, Pénélope Avril, Vanessa Bile-Audouard, Marianna Granci, Laurent Robert
« Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce?
Un serment fait d’un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer;
C’est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d’un peu se respirer le coeur,
Et d’un peu se goûter, au bord des lèvres, l’âme ! »
Pingback: La Comédie Française s’invite au cinéma – Gagnez des places pour Les fourberies de Scapin ! | Théâtr'elle