Quatre heures. Quatre heures, c’est le laps de temps maximum qui doit s’écouler entre le moment où le cœur est retiré d’un corps en état de mort cérébrale et le moment où il est transplanté dans la poitrine d’une autre personne. Quatre heures d’urgence pendant lesquelles une course contre le temps est engagée, une course contre la mort et pour la vie. Le roman de Maylis de Kerangal, paru en 2014 et plusieurs fois primé, raconte cette course folle à partir de l’accident de Simon Limbres. Simon avait 19 ans, il venait de surfer, lui et ses amis ont raté un virage. Simon est en état de mort cérébrale, son cœur est intact.
De la déclaration de mort cérébrale, l’annonce aux parents de Simon, le déclenchement de la greffe (sélectionner un receveur, listes d’urgences, choix de compatibilité, annonce au receveur, préparation de la greffe), le metteur en scène Sylvain Maurice garde l’essentiel : l’aspect clinique, hospitalier, médical. L’urgence de transplanter, sauver une vie à partir d’une autre vie. Aller vite, aller à l’essentiel, et garder l’essence du texte, l’urgence, la froideur médicale, l’application méthodique et rigoureuse qui s’impose pour le corps médical. Ecarter volontairement l’humain derrière le corps, pour se consacrer à la science. Oublier les sentiments, garder la froideur, être opérationnel, efficace. Sauver une autre vie, puisque celle-ci est perdue, aller vite.
Le dispositif scénique est froid, mécanique : un tapis roulant sur lequel évoluera Vincent Dissez, surplombé d’un portique où joue Joachim Latarjet, le musicien qui accompagne le récit. Les lumières, crues, blanches, évoquent le bloc opératoire mais aussi l’aspect clair-obscur de l’entre vie et mort. Vincent Dissez, raconte, parle, court, ralentit, danse sur ce tapis roulant. Il est le Dr. Révol, le médecin qui annonce la mort, il est Thomas Rémige, infirmier coordinateur des greffes, il est Sean, le père de Simon, il est Marianne sa mère ou Claire, qui recevra le cœur de Simon. Il est hypnotique et solaire, fascinant. Les musiques de Joachim Latarjet sont douces, vives, pop ou électro et épousent le texte elles-aussi.
Une course folle, donc, urgente, une frénésie clinique, une énergie pressante. Sylvain Maurice a fait le choix volontaire d’écarter la dimension émotionnelle du récit pour mettre en exergue l’urgence, la précision, la concentration. Si la dimension humaine est bien présente (l’annonce de l’accident, le désespoir des parents de Simon, leur refus d’accepter, puis la résignation, l’acceptation), elle est réduite a minima pour éviter tout débordement de pathos. On en oublie parfois ce qui faisait battre le cœur de Simon, tout ce qui était impalpable et chimique, tout ce qui faisait qu’il n’était pas seulement un cœur, un organe, mais aussi un jeune homme.
Un spectacle beau et froid.
Réparer les vivants, adapté du roman de Maylis de Kerangal
Mise en scène Sylvain Maurice
Scénographie de Eric Soyet
Avec Vincent Dissez, Joachim Latarjet (musique)
CDN de Sartrouville, du 4 au 19 février 2016
Place Jacques Brel – Sartrouville
Réservations au 01 30 86 77 79
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