Maladie (intemporelle) de la jeunesse. En héritage, de et par Joël Dragutin

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Ils sont quatre jeunes gens, pas encore trentenaires, plus du tout des enfants mais des adultes en devenir. Nacera et Jonas reçoivent Alice et Robin. Tous différents, ils incarnent chacun un désir différent face à la société. Nacera (excellente Nacima Bekhtaoui) est une jeune militante socialiste engagée en politique avec ferveur et un vrai désir de faire évoluer la société. Jonas (Nicolas Schmitt), son compagnon, refuse de céder aux sirènes de l’industrialisation et du numérique, il veut intégrer un village écologique et autonome en Lozère, loin de l’aliénation digitale de ses comparses. Alice (Zoé Schellenberg) est professeur de biologie, sur-équipée, sur-connectée, déconnectée de la vraie vie aux yeux de Jonas. Robin (Manuel Severi), quant à lui, est plutôt squatteur qui se cherche, éternel étudiant, éternel rêveur qui gagne plus ou moins sa vie en tant que cobaye pour l’industrie médicamenteuse et industrielle. Le contexte est planté, ces quatre-là se retrouvent régulièrement chez Nacera et Jonas, pendant 9 mois, le temps de la grossesse de Nacera.

Entre fable d’anticipation (l’histoire se déroule en 2018) et chronique sociétale, En héritage nous emmène à nous questionner sur l’héritage que nous avons reçu de nos parents, mais aussi et surtout celui que nous voudrons laisser à notre tour, à nos propres enfants. Joël Dragutin croque avec précision ethnologique cette jeunesse écartelée entre désir d’épanouissement personnel et volonté de changer la société. Le décor (l’appartement de Nacera et Jonas) est à la fois contemporain et intemporel. Des projections videos sur l’un des murs (flous lumineux, lueurs diffuses ou en forme de chaines physiques) viennent souligner les monologues intérieurs pleins de doutes auxquels se livrent les jeunes adultes. Ecartelés entre altruisme et individualisme, chacun, à sa façon, veut être acteur et moteur d’une évolution sociétale qui apparait de plus en plus inéluctable. Chacun est investi, chacun s’interroge, chacun se conforte dans ses convictions, avec l’intransigeance de la jeunesse.

Alice et Robin sont les hérauts de la révolution numérique, pour eux le progrès ne sera que digital et électronique et l’intelligence humaine sera supplée sinon supplantée par l’intelligence artificielle. Face à eux, Jonas et Nacera, chacun à leur manière, incarnent la résistance et le maintien à tout prix de relations interpersonnelles et humaines, réelles et non plus seulement au travers d’outils numérique. Nacera s’interroge aussi sur la valeur de son engagement politique : est-elle seulement utilisée pour ses origines, dans un seul but de discrimination positive, ou est-elle appréciée pour la force et la sincérité de son investissement ? Jonas est partagé entre cette future paternité qu’il n’a pas voulue et son rejet du monde moderne. Alice est confrontée à des élèves en plein questionnement, Robin n’en finit plus de se chercher…

Grâce à ces ancrages bien réels, Joël Dragutin soulève des questions qui vont bien au-delà de la seule fable d’anticipation : qui sommes-nous ? Que voulons-nous devenir et quelle société voulons-nous laisser à nos enfants ? Quelle est la valeur de nos engagements ? Sommes-nous seulement des passants ou des passeurs ? A travers ces quatre profils différents, la réponse est probablement propre à chacun, et nulle n’est aussi inutile que collectivement indispensable.

 

En héritage, texte et mise en scène de Joël Dragutin.

Avec Nacima Bekhtaoui, Zoé Schellenberg, Nicolas Schmitt, Manuel Severi

A Cergy-Pontoise

Théâtre 95 (réservations au 01 30 38 11 99) jusqu’au 19 février. Durée : 1h55.

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