Sœurs de peurs – Sœurs, de et par Wajdi Mouawad

soeurs-1Avec Sœurs, deuxième opus du « cylcle domestique », Wajdi Mouawad écrit l’histoire de Geneviève Bergeron, avocate spécialisée dans la médiation des conflits de guerre et de Leyla, experte en assurances, elle-même exilée au Canada de son Liban natal. Geneviève recherche sa demi-sœur indienne, Irène, disparue depuis l’enfance ; coincée par une tempête de neige près d’Ottawa, elle est contrainte de faire halte dans un hôtel de la capitale. La technologie outrancière et impersonnelle de cette chambre high tech, l’impossibilité de parler en français à des canadiens purement anglophones, le froid et la solitude lui font perdre pied. Les vannes se libèrent, le fragile équilibre qui la retenait s’écroule et Geneviève saccage la chambre, la transformant en un champ de ruines aussi dévasté qu’elle l’est à l’intérieur.

Il y a dans l’œuvre de Wajdi Mouawad quelque chose d’intangible, une sorte de constellation de bouts d’histoires, de parcours a priori éparpillés et qui pourtant s’interpellent, se répondent et se rejoignent à travers les personnages et leurs destins et, au-delà, finissent par se réunir et former une toile immense et poignante, une fresque collective, faite d’humanités déchirées enfin réunies. A travers Geneviève et Leyla, ce sont des années d’exil, de douleur, de pertes qui sont racontées, qui jaillissent des mots et des gestes de deux femmes : perte identitaire, avec cette langue anglaise assénée et ce français proscrit, perte familiale avec Irène, la sœur disparue, pertes de guerre avec la famille de Leyla. Le deuil, l’impossibilité de se reconstruire, l’avancement aveugle et machinal qui devient trop lourd à porter, les déchirures intérieures qui lacèrent insidieusement les entrailles, les peurs, les humiliations, les renoncements, la quête des origines, les relations filiales et intergénérationnelles, sont autant de thèmes forts omniprésents dans l’œuvre de Mouawad.

Le décor, cette chambre d’hôtel glaciale et déshumanisée où même les machines parlent, est souligné par des projections vidéos (images ou mots qui défilent en français, anglais ou arabe), par des projections de croquis presque naïfs également qui représentent la salle de bain ; des panneaux coulissants permettent de passer à l’intérieur ou l’extérieur de la chambre. Une reproduction immense du tableau « Gabrielle d’Estrée et une de ses sœurs » sert de tête de lit.

Cette histoire forte de deux femmes, « pas encore vieilles mais en train de le devenir », est incarnée par la formidable Annick Bergeron : tour à tour Geneviève, femme de chambre, directrice d’établissement, ou Leyla, Annick Bergeron se métamorphose, se transforme, se démultiplie. Toujours sur le fil, bouleversante et juste, jamais dans l’excès, elle incarne parfaitement la douleur, la peur, le vide intérieur et enfin le déferlement, le basculement, et enfin l’apaisement, quand Leyla et Geneviève se soutiennent et se portent l’une l’autre.

Une pièce forte, donc, dont la scénographie technique et complexe souligne le sujet sans l’alourdir. Avec des lumières magnifiques, et sa mise en scène extrêmement précise, millimétrée et très esthétique, Sœurs nous entraine dans un tourbillon émotionnel profondément captivant.

gely

Photo P. Gely

Sœurs, de et par Wajdi Mouawad

Avec Annick Bergeron

Texte et mise en scène Wajdi Mouawad
Inspiré par Annick Bergeron et Nayla Mouawad
Dramaturgie Charlotte Farcet
Assistance à la mise en scène et suivi artistique en tournée Alain Roy
Scénographie et dessins Emmanuel Clolus
Lumières Éric Champoux assisté de Éric Le Brec’h
Conception et réalisation vidéo Dominique Daviet et Wajdi Mouawad

Vu au CDN de Sartrouville

pgely

Photo P. Gely

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s