Si Gustave Flaubert fut fustigé et largement blâmé à la sortie de Madame Bovary, son roman n’en est pas moins resté dans les annales de la littérature française. De ce portrait d’une femme désœuvrée dans une étroite ville de province, marié à un homme aussi naïf que parfaitement ennuyeux, Flaubert a tiré la moelle substantielle du désir, de l’exaltation des sentiments engendrée par la frustration, de la solitude, de la soif de liberté d’une femme emprisonnée dans des conventions trop moralistes pour elle. Accusé à sa sortie de « réalisme choquant », « d’outrage aux bonnes mœurs », le roman a pourtant marqué son époque et engendré la notion de bovarysme.
L’adaptation de Paul Edmond célèbre allègrement le roman avec en mélangeant chansons, intermèdes musicaux, danses, jeu pertinent tout en se consacrant sur l’essentiel : de la morale étriquée de province avec ses ragots indiscrets et ses regards réprobateurs à la soif d’idéal d’une jeune femme désespérée, en passant par la gaucherie d’un époux dépassé mais amoureux, la veulerie d’un amant lâche ou la coriacité d’un créancier impitoyable.
Avec uniquement trois comédiens et une comédienne, les metteurs en scène Sandrine Molaro et Gilles‑Vincent Kapps (eux-mêmes interprètes de Emma et Rodolphe / Lheureux) rendent hommage à Flaubert, à Emma et cette Normandie provinciale et rurale de fin XIXème. Dans un décor minimum (projection de champs de blé, quatre chaises, un micro) et quelques instruments de musique (accordéon, harmonica, violon,…), ils déroulent pendant 1h30 la vie de Emma B. dans une atmosphère aux effluves de campagne et de bon air avec un plaisir évident et contagieux.
Inversant les rôles (narrateurs, personnages), les trois comédiens interprètent tantôt un Charles Bovary terriblement touchant malgré sa naïveté (David Talbot, excellent), une Madame Bovary-mère acariâtre ou Léon, jeune amant exalté (très juste Paul Granier, en alternance avec Félix Kysyl) ou l’odieux Rodolphe (Gilles‑Vincent Kapps). La touchante et très juste Sandrine Molaro s’amuse quant à elle visiblement beaucoup dans le rôle d’Emma, toute en sensualité campagnarde, exaltation amoureuse ou accablement moral. La mise en scène, à la fois simple et calculée, se concentre sur l’histoire et l’encerclement progressif de la jeune femme dans un piège financier et sentimental. Chansons et musiques parfois anachroniques viennent apporter une touche de modernité tout comme certains clins d’œil complices (la musique du Cinéma de Minuit lors du premier baiser de Rodolphe et Emma).
Le tout donne une très, très charmante adaptation, intelligemment rythmée, vive et gaie, une vision champêtre qui ne peut que ravir les amoureux de Flaubert (dont je fais irrémédiablement partie) et les nombreux collégiens qui viennent re-découvrir le roman dans le petit théâtre du Poche Montparnasse. Ou ceux qui ne connaîtraient pas le roman et voudraient s’y frotter. Je gage qu’ils adoreront.
Une jolie réussite, donc, et un très bel hommage. Pour ma part, j’achète, j’adhère, j’adore.

Photo Brigitte Enguerrand
Madame Bovary, de Gustave Flaubert
Adaptation de Paul Edmond
Mise en scène : Sandrine Molaro et Gilles‑Vincent Kapps
Avec : Gilles‑Vincent Kapps, Félix Kysyl ou Paul Granier, Sandrine Molaro, David Talbot
Scénographie : Barbara de Limburg
Théâtre de Poche-Montparnasse • 75, boulevard du Montparnasse • 75006 Paris
Réservations : 01 45 44 50 21

Photo Brigitte Enguerrand
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