Au théâtre de l’imposture – L’adversaire – MES Frédéric Cherboeuf

affiche

« Le 9 janvier 1993, Jean-Claude Romand tue sa femme, ses enfants, ses parents, puis tente, en vain, de se tuer lui-même. L’enquête révèle très vite qu’il n’était pas médecin comme il le prétendait et, chose plus difficile encore à croire, qu’il n’était rien d’autre. Il mentait depuis dix-huit ans. »

Un fait divers pas comme les autres qui a défrayé les chroniques il y a plus de vingt ans et qui continue de marquer, intriguer, passionner, fasciner tant les faits sont stupéfiants et semblent sortir tout droit de l’imagination d’un romancier. Or, comme le dit Emmanuel Carrère dans le récit qu’il a publié à propos de « l’affaire » , les faits sont tellement incroyables que tout auteur racontant cette histoire serait taxé de non vraisemblance, d’hérésie, d’absurdité….

Et pourtant c’est une histoire vraie. Un faux médecin a vécu une fausse vie pendant plus de vingt ans, a eu de vrais enfants et une vraie femme, mais la véracité de sa vie s’arrête à ces deux derniers points. Le reste était du vent, de l’air, de la poudre aux yeux, et c’est ça qui a fasciné le romancier au point de lui faire écrire une lettre à Jean-Claude Romand, qui lui répondit deux ans après.

Vincent Berger et Frédéric Cherboeuf ont décidé de porter ce récit à la scène en s’interrogeant à la fois sur les faits, l’histoire, autant que sur le travail de l’écrivain : pourquoi est-il fasciné par le personnage ? Qu’est ce qui le pousse à essayer de comprendre ? Est-il subjugué ? Dégoûté ? Comment écrire et sous quel angle, comment retranscrire sans juger, l’empathie implique-elle une approbation tacite ? Quelle est la part de voyeurisme, de fascination, de création dans sa démarche ? Doit-il juger ? Comment, d’ailleurs, écrire sans juger ni excuser ? Quelle est sa légitimité à raconter cette histoire ?

La plongée dans le travail et les doutes de l’écrivain sont remarquablement transcrits. Dans un décor qui mélange adroitement l’appartement de Carrère en cours de déménagement, le tribunal où sera jugé Romand, un café où les journalistes couvrent le procès, des cartons, des meubles recouverts de draps évoquent une vie en transition, une vie faite de fantômes et de mensonges. Dans cet univers évoluent Carrère, Romand, ses voisins, amis et maîtresses, …

Sous la direction de Frédéric Cherboeuf tous les comédiens jouent avec une justesse remarquable, notamment le formidable et impérial Vincent Berger qui incarne à la fois Romand et Carrère : une paire de lunettes, un dos un peu plus voûté, une voix légèrement plus tremblante et le comédien caméléon se transforme. Bluffant.

Les autres sont au diapason, de Gretel Delattre en maîtresse fatiguée des mensonges mais fascinée par son amant, à Maryse Ravera en visiteuse de prison passionaria aveugle ou Alexandrine Serre en institutrice manipulée-vexée. Camille Blouet interprète la femme de Carrère et s’installe régulièrement au piano, dos au public : des intermèdes qui accompagnent fort à propos les comédiens en contrepoint à l’ignominie des faits. Quant à Frédéric Cherboeuf, installé au coeur même du public, il intervient, interroge Carrère, Romand, les témoins. Un procédé qui plonge habilement le spectateur au coeur même du procès mais aussi des doutes de l’écrivain : nous sommes spectateurs, observateurs, témoins privilégiés, oreilles attentives.

Bref, L’adversaire est une mise en abyme impressionnante de justesse et de précision qui grâce à la large palette de procédés théâtraux, sa mise en scène brillante et son interprétation remarquable offre au spectateur un prisme polymorphe édifiant et haletant sur la nature humaine.

Remarquable.

adversaore

L’adversaire, de Emmanuel Carrère

Compagnie La part de l’ombre

Adapté par Vincent Berger et Frédéric Cherboeuf

Avec : Vincent Berger, Camille Blouet, Frédéric Cherboeuf, Jean de Pange, Grétel Delattre, Alexandrine Serre, Maryse Ravera, Volodia Serre.

Scénographie et lumières Jean Claude Caillard

Costumes Nathalie Saulnier

Théâtre de Paris Villette

jusqu’au 26 mars

Réservations au 01 40 03 72 23

Puis

Théâtre des Quartiers d’Ivry

du 29 mars au 8 avril

Réservations au 01 43 90 11 11

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