Parallèlement à l’adaptation par Sylvain Maurice du roman multi-primé de Maylis de Kerangal « Réparer les vivants », c’est Emmanuel Noblet qui s’attache également à l’histoire du cœur de Simon Limbres.
En coma dépassé après un accident de la route, Simon est déclaré en état de mort cérébrale. Simon était jeune, fort, en pleine santé, vivant et vibrant comme un surfeur de 19 ans à peine peut l’être au sommet de sa vague ; ses organes vitaux sont en très bon état et donc éligibles à la transplantation. Poumons, foie, reins, cœur. Une vie pour des vies.
Emmanuel Noblet se lance dans les remous d’une transplantation avec fougue, ferveur, ardeur. Il incarne successivement avec un immense talent de transformation (un accessoire, une tessiture qui varie, un dos qui se dresse) tous les personnages qui entourent le coeur de Simon. Le déni, l’acceptation, les doutes, la décision à prendre par les parents (donner ou ne pas donner ? qu’aurait-il fait, lui, Simon ?), de l’emballement de l’équipe spécialisée quand l’accord est donné, de l’urgence à faire vite, à transmettre la vie, à courir, aller chercher ce receveur qui pourra vivre grâce à Simon, Emmanuel Noblet retrace avec justesse et précision la machine qui se met en oeuvre.
La mise en scène, sobre, classique, utilise régulièrement les projections vidéo (radiologies, échographies) et une horloge numérique vient régulièrement rappeler la temporalité, l’urgence du délai à respecter entre la mort et la transplantation. La mise en scène dépouillée laisse toute la place à la prestation saisissante d’Emmanuel Noblet qui incarne, transcende, magnifie l’histoire et tous les personnages qui la composent. L’émotion affleure, les cœurs s’emballent au fil des minutes. A travers le cœur de Simon, les cœurs de tous les autres battent à l’unisson, le cœur des personnages comme le cœur des spectateurs, comme le cœur de Claire, la receveuse, celle en qui battra à nouveau le cœur de Simon.
Ici, ce sont donc les émotions qui priment, le côté humain, accessible, palpable du deuil, de la mort et de son acceptation tout comme l’espoir des receveurs. L’adaptation d’Emmanuel Noblet fait la part belle aux hommes et aux femmes, aux êtres de chair et de sang dont il est question, sans oublier l’aspect médical mais sans s’y appesantir. Le spectacle est fait de pulsations, de battements, de souffles retenus en totale osmose avec le comédien virtuose. Un spectacle où l’émotion, poignante, déchirante parfois, n’en est pas moins toujours très juste et jamais exagérée.
Témoigner, parler, convaincre, éduquer, rassembler, ouvrir, là est le rôle essentiel du théâtre : ce plaidoyer multiple et pluriel pour le don d’organes nous rappelle à travers deux adaptations très complémentaires, deux visions différentes, deux hommages captivants, à quel point le don est important, vital, essentiel. C’est pour ça que le théâtre existe.

Photo A. Mori
Réparer les vivants, d’après le roman de Maylis de Kerangal
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Mise en scène Emmanuel Noblet
Avec Emmanuel Noblet
Collaboration artistique Benjamin Guillard
Théâtre Montansier, Versailles

Photo A. Mori