Après avoir créé son Monsieur de Pourceaugnac au Théâtre de Caen fin 2015 puis emmené ses comédiens et la fine équipe de la compagnie des Arts Florissants dirigée par William Christie à Madrid ou Bilbao, Clément Hervieu Léger s’installe aux Bouffes du Nord pour 20 représentations hautes en couleurs, en rires et en chansons. La comédie-ballet, telle que l’avaient écrite Molière et Lully en 1669 se transforme, sous la houlette du pensionnaire du Français, en pétillante et virevoltante farce où rires et chants s’entremêlent pour le plus grand plaisir des spectateurs.
L’histoire, tout d’abord, reste fidèle aux thèmes favoris de Molière : un brave provincial, Mr de Pourceaugnac, vient à Paris pour épouser la jolie Julie, promise par son père Oronte à Pourceaugnac. Mais Julie aime Eraste et les jeunes amants mettent au point une ruse diabolique pour déjouer les plans du naïf bourgeois. A coup de faux médecins, d’amantes abandonnées fictives, de simili brigands, Pourceaugnac sera berné, trompé et n’aura plus d’autre choix que de retourner à Limoges déguisé en femme.

Photo Brigitte Enguerrand
C’est une belle alchimie qui lie les comédiens et chanteurs lyriques réunis par Clément Hervieu-Léger. Tous, dans une énergie virevoltante et débridée, s’en donnent à cœur joie et participent de concert à la farce étonnamment moderne de Molière. A commencer par Gilles Privat, formidable Pourceaugnac tour à tour sûr de lui, puis perdu pour finir totalement terrorisé, à qui le comédien donne un coté terriblement attachant malgré son ridicule grotesque copieusement raillé. Daniel San Pedro campe un Sbrigani délicieusement machiavélique et roublard, scapinement toinesque ou toinesquement scapin, au choix. Clémence Boué est une Nérine aussi rusée que son comparse, tandis que Juliette Léger (mutine Julie) et Guillaume Ravoire (romantique Eraste) sont des amants touchants et ingénus. Alain Trétout n’est pas en reste en Oronte dépassé et berné, tandis que Stéphane Facco campe un médecin aussi usurpateur que Diaforus ou Purgon le furent dans Le malade imaginaire.
Clément Hervieu-Léger situe l’intrigue dans le Paris des années 50 : jupes corolles et tailles de guêpe, corsaires, débardeurs jacquard et vestons courts ajoutent à la malice de cette jeunesse impertinente qui se fiche de ce provincial mal dégrossi mal affublé. Les décors, sont composés de panneaux manipulés à vue par les comédiens et l’on verra même arriver vélos ou carrément une vieille Simca 5. On pourrait être en Italie, aussi, tant les accents chantants que prennent les faux brigands ou fausses épouses laissent planer le doute, tant quelque intermède est chanté lui aussi en italien, tant la décontraction sereine et rieuse de cette jeunesse laisse planer un délicieux goût de dolce vita, qui plus est magnifiquement éclairé par Bertrand Couderc, dont on avait pu admirer le travail dans le Roméo et Juliette, de Eric Ruf au Français.
Ce Monsieur de Pourceaugnac est donc une transposition énergique et vive qui mêle chants (les musiciens des Arts Florissants s’amusent visiblement à accompagner l’équipe des comédiens) satire (les thèmes chers à Molière sont bien là comme la raillerie de la médecine, de la bourgeoisie ou de l’avarice) et farce habilement modernisée (on verra des poireaux voler dans le public, les travestissements sont truculents) et, au final, provoque de francs éclats de rire dans le public.
On en sort le sourire aux lèvres, étourdi, fier que Molière suscite encore autant d’engouement et de plaisirs, heureux que cette joie communicative et pétaradante soit venue nous surprendre et nous ravir.
« Ne songeons qu’à nous réjouir, La grande affaire est le plaisir », fredonnent les personnages dans le dernier intermède. Réjouissons-nous donc de cette délicieuse comédie, et prenons-y le plus grand plaisir.
Monsieur de Pourceaugnac, Comédie-ballet de Molière et Lully
Théâtre des Bouffes du Nord, jusqu’au 9 juillet 2016
Mise en scène : Clément Hervieu-Léger
Avec : Gilles Privat, Alaint Trétout, Juliette Léger, Clémence Boué, Stéphane Facco, Guillaume Ravoire, Daniel San Pedro.
Les Musiciens des Arts Florissants : Erwin Aros (haute-contre), Matthieu Lécroart (baryton-basse), Cyril Costanzo (basse), Claire Debono (soprano)
Direction musicale et clavecin, conception musicale du spectacle : William Christie
Décors Aurélie Mæstre
Costumes Caroline de Vivaise
Lumières Bertrand Couderc
Chorégraphie Bruno Bouché

Photo Bertrand Couderc
Pingback: Un marivaudage bucolique et champêtre au Français | Théâtr'elle