Décidément la programmation de la Manufacture à Avignon propose toujours un choix de spectacles recherché, exigeant et assumé. Après le joyeusement engagé We love arabs de Hillel Kogan c’est un tout autre style qui nous aura transportés. Nicolas Bonneau s’empare du personnage mythique de Molière et imagine un misanthrope contemporain partant à la recherche de ses congénères. L’homme commence à raconter son enfance, ses parties de foot avec son meilleur copain qui lui fera faux bond pour aller jouer sans lui. Une première déception amicale avec laquelle le jeune garçon découvre l’hypocrisie et la lâcheté du genre humain.
« Trop de perversité règne au siècle où nous sommes
Et je veux me retirer du commerce des hommes »
Voilà, le jeune garçon ouvre les yeux sur la nature humaine et s’en servira comme rempart et justification pour se méfier, toujours, encore, de la compagnie des hommes.
Nicolas Bonneau raconte donc la quête de cet homme à la recherche de personnes comme lui. Entre séjour dans un Ashram, entretien avec un pharmacien ermite, visites dans une communauté hippie, rencontre avec des moines isolés, consultations chez le psy, le comédien protéiforme découvre, se désole, pleure, se dégoute, s’interroge sur sa quête et son refus de se fondre dans la masse.
« J’entre en une humeur noire, en un chagrin profond,
Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font ; »
L’interprétation de Nicolas Bonneau est toujours juste, oscillant dans un équilibre calculé entre récit contemporain et alexandrins de Molière : mélange qui témoigne parfaitement combien le propos moliéresque est actuel. Pour illustrer les désillusions de ce Timon d’Athènes moderne, les musiciennes Fannystatic (piano / chant dont la tessiture de voix est d’un largeur stupéfiante) et Juliette Divry (violoncelle) viennent ponctuer de leur étonnante musique pop-rock-baroque un récit truffé d’humour délicieusement mordant. Profondément troublants tout autant que justes, ces intermèdes inattendus deviennent au fil des scènes de purs moments de bonheurs judicieusement saupoudrés entre humour caustique, références contemporaines et citations de Molière.
Les références sont actuelles (facebook, Woody Allen) et mélangent adroitement contemporanéité et littéralité. Humour, causticité, parodie, finesse, conduiront ce nouveau misanthrope loin d’une tentation de Démocrite et lui feront, au final apprécier la saveur toute singulière de la compagnie des hommes. Le tout est mis en exergue par une mise en scène subtilement éclairée, pertinemment épurée et baroque.
Protéiforme, singulier, surprenant, Looking for Alceste est un plaisir autant visuel qu’auditif, tout autant finement caustique qu’irrévérencieux par moments. Ca réveille les papilles des littéraires, fait vibrer les misanthropes en herbe, conforte les désillusionnés tout en leur donnant envie, comme aux autres, de continuer de chercher en l’humanité de quoi rêver.
A ne pas rater !
Looking for Alceste, de Nicolas Bonneau
La Manufacture, réservations au 04 90 85 12 71
Avec Nicolas Bonneau, Fannytastic, Juliette Divry
Régisseur général et lumières : Rodrique Bernard, Lionel Meneust
Régisseur son : Gildas Gaboriau
Composition musicale Fannytastic
Collaboration à la mise en scène et à l’écriture Cécile Arthus, Camille Behr et Fannytastic
Création lumière Hervé Bontemps
Costumes Cécile Pelletier
Scénographie Blandine Vieillot
Conseil à la dramaturgie Chantal Dulibine
Régie lumière et régie générale Rodrigue Bernard / Lionel Meneust
Régie son Xavier Trouble / Gildas Gaboriau