Des origines, de l’exil et de la quête identitaire, Wadji Mouawad a fait le terreau de son œuvre par laquelle il peint, inlassablement, l’écheveau complexe des liens familiaux, l’influence des racines, le poids des blessures et les difficultés à se construire sur les débris d’une guerre.
Dans Seuls, le dramaturge se met lui-même en scène dans un solo aux nombreux accents autobiographiques. Il y incarne Harwan, un jeune étudiant qui termine une thèse sur le travail du metteur en scène Robert Lepage (« Le cadre, comme espace identitaire dans les solos de Robert Lepage). Lorsque son père sombre dans le coma, Harwan tente de rétablir une communication depuis longtemps mise en sursis : souvenirs évoqués, confidences, questions, le jeune homme entame un long monologue en revenant sur les pas de son enfance. Son texte fort donc, qui détisse et retisse, encore, les liens qui font les canevas mouawadiens : quête, identité, stigmates de la guerre et blessures de l’exil, séparation, isolement. Mais ici c’est la mise en scène, magistrale, qui suscite – encore plus – l’adhésion et embarque les spectateurs dans une spirale non pas infernale mais puissante, tumultueuse, édifiante.
Seul en scène, Wadji Mouawad l’est, dans un décor minimal qui se transforme au gré projections et des déplacements de panneaux en photomaton, hall d’aéroport, chambre d’hôtel ou d’hôpital… Mais si le dramaturge se présente seul – en en caleçon – devant nous, c’est autour de lui, à travers lui, avec lui une multitude de personnages qui viennent densifier le texte du comédien. A l’aide de vidéos qui projettent des personnages annexes (la sœur, le père de Harwan, Robert Lepage) ou connexes (comme ces projections du double sublimé de Harwan), à l’aide de bande son (appels téléphoniques restés ou non sans réponses), ce n’est plus un personnage qui est présent mais celui-ci entouré de ses fantômes, de ses errances, de ses erreurs et de ses peurs. Le propos n’est plus celui de Harwan seulement mais un propos multiple, augmenté : un propos polyphonique et universel sur la souffrance et la renaissance.
Édifiant, donc, comme le retournement de situation – inattendu et magnifique coup de théâtre / coup de massue ou comme la scène finale, éclatante, véritable explosion de sentiments, déchainement viscéral et pulsionnel qui coupe le souffle du spectateur. On en ressort presque sans voix, en totale empathie avec Mouawad.
Comme d’habitude me direz-vous.
Seuls
De par et avec Wadji Mouawad
Dramaturgie, écriture de thèse Charlotte Farcet
Conseiller artistique François Ismert
Assistante à la mise en scène création Irène Afker
Assistante à la mise en scène tournée Valérie Nègre
Scénographie Emmanuel Clolus
Lumières Eric Champoux
Costumes Isabelle Larivière
Réalisation sonore Michel Maurer
Musique originale Michael Jon Fink
Réalisation vidéo Dominique Daviet
Théâtre de la Colline
Jusqu’au 9 octobre 2016
Réservations au 01 44 62 52 52