Dom Juan, ou le festin trop épicé de Sivadier

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A l’Odéon, Dom Juan arrive par la salle et commence par séduire les spectatrices. Oeil de velours et regard canaille, il interpelle une spectatrice, lui offre des fleurs, les lui reprend pour en offrir à celle d’à coté, redistribue le tout et apostrophe même les femmes du balcon «Êtes-vous accompagnée ? Seule ? ». Le procédé est habile : dès les premières minutes le public espère que le comédien appelle une Valérie, une Sonia, une Sarah… Conquis, donc, et vite abandonné pour une Claire ou une Fatima. Le voilà, le Dom Juan de Sivadier : volage, sans aucun scrupule, n’attendant pas de se repaître d’une femme qu’il séduit déjà la suivante. Sivadier nous livre davantage un dévoreur de chairs, un arracheur de cœurs plein de mépris pour la morale, dont l’unique religion serait le plaisir, s’il en avait une. Mais de religion on en parle moins, si ce n’est au travers de ses rhéteurs : Sganarelle, en premier lieu, fidèle valet autant que contradicteur silencieux, ou bien le père de Dom Juan, rageur effondré par l’impiété de son fils.

Ce ténébreux Dom Juan, l’homme pressé d’aimer, de posséder, peu soucieux de scandaliser, l’homme impie qui porte le blasphème en étendard et brise les coeurs en série, l’homme qui ne croit en rien ni en personne, Dom Juan est ici joué par Nicolas Bouchaud, habitué des créations de Jean-François Sivadier. Sa présence scénique est immense, il occupe, happe, avale l’espace et ses partenaires. A ses cotés surnage Vincent Guedon, formidable Sganarelle, complice par loyauté mais censeur non avoué. Dans l’ombre de ce duo  parfaitement complémentaire le reste de la distribution peine à émerger : Marie Vialle est une Elvire inégale, Stephen Butel, Marc Arnaud, Lucie Valon interprètent tour à tour les autres personnages, multipliant les métamorphoses autant que les effets : on crie, on rit fort, on exagère, et on en perd le spectateur qui ne sait plus s’il assiste à un drame, une comédie, une foire ou un mélange un peu foutraque. Une direction plus claire aurait peut-être moins brouillé les pistes.

Tous évoluent dans une jolie scénographie de gris, de bleu ou d’argent : au plafond pendent planètes, étoiles, représentant ce ciel que Dom Juan ne cesse de défier. Le décor du tombeau du commandeur est également magnifique, sombre, bordé de statues voilées qui observent dans la pénombre la scène telles des spectres venus de l’au-delà.  Un néon lumineux indique épisodiquement un compte à rebours : on pourrait croire que ce sont les minutes qui séparent Dom Juan du châtiment final, ce ne seraient que le nombre de fois où le mot Ciel est prononcé : effet superflu qui n’apporte pas grand-chose au spectateur, tout comme la mention « scène censurée à la création» qui clignote quand la scène du pauvre est jouée. D’autres effets de mise en scène viennent charger la pièce : l’apostrophe au public du début qui est rappelée plusieurs fois, intégrant les prénoms des spectatrices au nombre de victimes du prédateur pendant la pièce, ou cette interprétation de Sexual Healing de Marvin Gaye par Nicolas Bouchaud en peignoir, une chanson de Brassens dite par Sganarelle, ou sa nudité de Dom Juan aspergé de sceaux d’eau pendant sa feinte conversion. Nudité, chanson, néon… autant d’effets cosmétiques inutiles qui, quand ils ne sont pas justifiés, viennent polluer l’interprétation du texte.

Vous l’aurez compris je reste partagée devant la mise en scène de Sivadier : si les comédiens sont solaires, la scénographie magnifique, et le parti-pris somme toute cohérent, trop d’effets, de tics de mise en scène viennent s’ajouter de façon inutile et surtout injustifiée. C’est dommage, car ils affectent par l’importance qui leur est donnée une vision toute en énergie décuplée, du coup plus assez captivante.

 

 

Dom Juan, de Molière

Théâtre de l’Odéon, jusqu’au 4 novembre 2016

Réservations au 01 44 85 40 40

Mise en scène Jean-François Sivadier

Avec : Nicolas Bouchau, Vincent Guédon, Stephen Butel, Marc Arnaud, Marie Vialle, Lucie Valon.

Scénographie Daniel Jeanneteau, Christian Tirole, Jean-François Sivadier

Lumières Philippe Berthomé assisté de Jean-Jacques Beaudouin

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