Vous étiez hier au Vieux-Colombier pour assister à la représentation de Vania. Vous êtes arrivée assez tôt, devisant avec vos amis avant que la pièce démarre. Stéphane Varupenne était déjà sur scène, attablé dans la maison de Vania, cependant que le public s’installait. Vous, vous narriez à vos amis les exploits de la dernière chasse organisée par un de vos proches où à laquelle vous avez participé, je ne sais plus. Vous établissiez également à voix haute la liste des convives de votre prochain diner, retouchant négligemment votre élégant chignon argenté. Tout ça je le sais non pas par indiscrétion, mais vous parliez assez fort, comme si vous aviez quelques problèmes d’audition, aussi entendais-je bien malgré moi votre conversation, puisque j’étais derrière vous. Nous sommes entre gens de bonne compagnie et je conviens avec grâce que tout le monde a le droit de converser avec ses amis, aussi, bien que ces confidences mondaines ne m’intéressassent pas le moins du monde, je les supportais en silence, me disant que vous finiriez pas vous taire une fois la pièce commencée.
Ce que vous fîtes, et je vous en sais gré, dès que Laurent Stocker entra en scène. Nous pûmes donc nous abandonner avec bonheur et nous repaître de joie, soupirer de plaisir en admirant Laurent Stocker, Stéphane Varupenne, Hervé Pierre, Florence Viala, Anna Cervinka, Noam Morgenzstern et Dominique Blanc.
Dieu qu’ils étaient bons ! Dieu que ce Vania nous transportait ! Dieu que la rencontre nocturne entre le Médecin et Elena était remplie de promesses, de tension, de cœurs qui cessent de battre et qui sursautent ! Oui, j’aimais le Médecin, j’aimais Elena. Mon cœur, comme celui des cœurs réunis de tous les spectateurs battait en symbiose avec celui des personnages.
C’est alors que votre téléphone portable sonnât, Chère Spectatrice du rang J3.
Oh ! Une sonnerie somme toute banale, pas franchement originale, du genre lamba lambada, samba, sancha, un truc comme ça. Enjouée, je dirais. Plutôt vive. Gaie. Et forte. Pas assez pour provoquer un arrêt cardiaque mais disons que,… comment dire… hier, elle a fait… sursauter toute la salle. Si si. Soupirer toute la salle. Vous-même avez été surprise, il me semble. Vous avez même marqué un petit temps avant de réaliser que c’était votre téléphone qui sonnait, et non pas celui d’un importun malappris. Vous avez saisi votre sac et cherché votre téléphone. Visiblement le faquin se terrait bien au fond car vous ne l’avez pas trouvé.
C’est ballot.
Avez-vous remarqué que le Médecin et Elena se sont demandé à qui ce téléphone portable appartenait ? Qu’ils ont perdu un peu de concentration ? Votre coeur a-t-il battu très fort dans votre poitrine quand le Médecin demandait à Elena quel téléphone pouvait bien sonner dans la maison du Professeur ? Mais votre téléphone s’est tu, vous avez reposé votre sac.
Ce qui a dû déplaire à votre téléphone puisqu’il a re-sonné.
Lamba lambada sancha macha dans la datcha !!
Vous reprîtes votre sac, cherchâtes et recherchâtes tandis que lamba lambada sancha continuait de résonner dans nos oreilles. Quel vaurien ce téléphone ! Vous avez donc commencé à vider votre sac, égrenant dans les mains de votre époux portefeuille, agenda, pochettes et autres babioles de sac de femme (j’avoue inventer le contenu pour les besoins de la narration car à ce stade mon cœur et mes mains vibraient de rage et je n’ai pas regardé ce que vous retiriez).
Avez-vous entendu le « Madame, sortez !», chuchoté par la spectatrice derrière vous (kikou c’était moi !) ? Avez-vous ressenti la moindre gêne quand Stéphane Varupenne a demandé à Elena pourquoi Vania n’éteignait pas son téléphone (si ça se trouve il joue à Candy Crush en sifflant de la vodka, ce paresseux, hein ??) ? N’avez-vous pas été mortifiée quand Florence Viala a légèrement bafouillé, cherchant sa réplique entre deux notes de lambada machin? Dieu merci votre époux (quel Homme !) a réussi à extirper ce chenapan de téléphone et l’a éteint. Provoquant une ultime réaction bruyante et musicale dudit engin, genre « that’s all folks hi hi hi ».
Mais enfin, le silence se fit et nous pûmes replonger, nous abandonner. Entre vous et moi, Chère Spectatrice du rang J3, je peux vous assurer que Stéphane Varupenne et Florence Viala ont assuré GRAVE. Il leur a fallu quelques instants pour se resaisir, retrouver leurs personnages et oublier l’incident. Ça vous a peut-être paru facile, mais je peux vous dire que non, ça ne l’est jamais, et qu’il faut une sacrée dose de passion, de désir, de professionnalisme et de TALENT, Chère Spectatrice du rang J3, pour continuer de jouer, continuer de donner aux spectateurs, aux autres, à tous, et même à vous, Chère Spectatrice du rang J3, ce que nous sommes venus chercher.
Voilà, Chère Spectatrice du rang J3, je suis la personne qui vous a attendue dès la fin des saluts et vous ai traitée de personnage inqualifiable, irrespectueux, méprisant. Je suis celle qui vous a dit que vous aviez gâché la représentation d’une partie de la salle, voire de TOUTE la salle. Je suis celle qui vous a maudite et a songé à vous étrangler pendant la pièce. Vous n’avez pas réagi à mes remontrances. J’étais certes très énervée et fort peu aimable, je le reconnais humblement. Vous avez détourné la tête et le regard et êtes partie sans répondre. J’espère que la honte a empêché votre bouche de prononcer un seul mot de regrets. Pour les excuses, c’est aux comédiens qu’il fallait les présenter.
Vous savez quoi, Chère Spectatrice du rang J3 ? Parfois je me prends à rêver qu’une loi soit votée : toute personne dont le téléphone sonnerait pendant une représentation serait condamnée à plusieurs mois d’inéligibilité dans les théâtres. Interdite de théâtre. Huée dès son entrée car publiquement « fichée T » . Arrosée de goudron, emplumée et enfermée dans un cercueil qui n’aurait pas de double-fond et qu’on oublierait au fond des coulisses. Foudroyée par un des angelots de l’Odéon. Réduite à errer sans fin dans les sous-sols de l’Opéra sans même pouvoir composer les numéros d’urgence. Dans votre cas et dans ma grande mansuétude, je propose une interdiction de salles obscures pour les 5 prochaines décades.
Voilà. Je dois vous laisser, Chère Spectatrice du rang J3. D’autres obligations m’appellent. D’autres plaisirs. En particulier celui de relire Oncle Vania, et éventuellement d’essayer de retourner au Vieux-Colombier pour revoir, en toute sérénité cette fois-ci, Vania, Elena, le Docteur, Sonia, Maria, Tieliegine, le Professeur.
Je vous souhaite une belle fin de journée et vous prie de recevoir, Chère Spectatrice du rang J3, mes salutations les moins respectueuses.
La spectatrice du rang K2
Merci.
Comme cela est bien dit, quel bien fou cela procure de te lire et de penser que cette « situation » je l’ai déjà vécu mais sans avoir les mots pour exprimer cette insupportable agression.En fait pour moi les salles de spectacle devraient être à l’abri de tout réception téléphonique.
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Imaginez la scène : vous profitez d’une magnifique pièce de théâtre avec des acteurs talentueux et un public conquis quand soudain un téléphone sonne !
Vous commencez par pester contre l’ignoble personne qui a pu laisser arriver une telle chose et repensez même à écrire un autre article sur votre blog ! Puis une vague de honte vous envahit quand vous reconnaissez la sonnerie de VOTRE téléphone ! Vous l’aviez pourtant éteint ! Vous ne comprenez pas ! Dans la précipitation, vous coupez la sonnerie à la fois soulagée et honteuse, et vous faites vite pour que la pièce reprenne son cours normalement, en envoyant des regards d’excuses aux acteurs perturbés et en vous enfonçant dans le siège pour vous faire oublier.
Quand tout à coup, votre téléphone sonne à nouveau, cette fois c’est un mélange de honte et de colère ! Décidément, vous et la technologie ne vous entendez pas aussi bien que les acteurs sur scène et vous manipulez votre téléphone comme une patate chaude pour tenter de le faire taire à jamais. C’est à ce moment-là que vous entendez par dessus votre épaule un « Sortez madame », rempli de mépris et de colère.
Vous êtes rouge de honte, vous qui respectez tant le théâtre et les acteurs, vous sentez le lourd regard du public sur vous, qui vous maudit, qui ne souhaite qu’une chose vous étrangler à la sortie. Vous vous sentez misérable. D’ailleurs, vous avez tellement la gorge serrée que vous ne savez pas quoi dire quand les gens vous lancent des regards haineux à la sortie.
Vous souhaiteriez un minimum de compréhension, de compassion, voire de pardon, mais ce ne sera pas aujourd’hui, vous avez l’impression qu’on vous traîne dans la boue et qu’on vous empêche de vous relever. Vous êtes au bord des larmes devant tant de violence et d’irrespect. Comment peuvent-ils vous traiter ainsi ? Ils ne vous connaissent même pas. Vous partez sans rien dire, vous jurant de ne plus remettre les pieds dans un théâtre tout en maudissant l’espèce humaine, leur souhaitant le pire dans leurs misérables vies.
Vous qui vouliez vous détendre ce soir devant une belle pièce, vous rentrez chez vous, stressée, en colère et triste de voir à quel point les gens peuvent faire preuve de méchanceté et d’agressivité pour cela. D’ailleurs le lendemain, vous exprimez tout cela au bureau, à vos collègues, vous leur partagez tout ce ressentiment, toute cette exaspération, de différentes manières, peu importe, ce qui compte c’est que ça sorte, les autres feront avec. Qui sait, ils iront peut-être au théâtre et auront peut-être l’occasion, eux aussi, d’exprimer tout cela s’ils entendent une sonnerie de téléphone.
Mais ouf, heureusement, tout ceci n’est que le fruit de l’imagination.
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Une même mésaventure est arrivée à Andréa Bescond, au début d’une représentation de ses « Chatouilles ou la danse de la colère ». Elle a prié le spectateur de quitter la salle, a été applaudie à tout rompre puis a recommencé son spectacle au début – elle n’avait joué que quelques minutes.
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Merci (theatrelle) merveilleux blog de
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