Fritz et Irène forment un couple en apparence banale : Fritz est avocat, sa femme Irène au foyer. Il travaille, elle s’ennuie, elle le trompe. Un jour une inconnue arrête Irène alors qu’elle sort de chez son amant et la fait chanter. Paniquée, Irène cède et lui donne ce qu’elle a. Commence alors une lente descente aux enfers pour Irène, poursuivie par cette inconnue qui la harcèle et semble la hanter. Zweig a écrit La peur en semant la confusion dans l’esprit de ses lecteurs : qui est cette inconnue qui surgit toujours du néant et juge Irène, la jauge, commente ses faits et gestes ? Est-elle réelle ? Est-ce un fantôme qui vient torturer la conscience d’Irène dévorée par la culpabilité? La sage épouse semble sombrer dans une folie dévorante qui lui fait perdre peu à peu la raison.
Blackmail chez les Draper
C’est un peu Hitchcock qui s’installe au théâtre Michel cet automne et la metteur en scène Elodie Menant ne cache pas son inspiration et sa volonté d’ancrer La peur dans une atmosphère très hitchcockienne. Elle rajeunit quelque peu l’intrigue en la situant élégamment dans les années 50 (les jupes corolle d’Irène lui donnent un air de Betty Draper, les tenues plus strictes de l’inconnue rappellent Peggy Olson, et Fritz pourrait être un Peter Campbell) ; elle y distille également avec beaucoup de pertinence des signes d’enfermement et de terreur : le décor très ingénieux pivote au fil des scènes et semble parfois se refermer tel un piège sur une Irène de plus en plus paniquée tandis que l’ombre, ou le reflet de l’inconnue semble sans cesse venir la surprendre et la terroriser. La musique n’est pas sans rappeler le maître du suspens avec chants d’oiseaux, ou une action resserrée soulignée par des notes anxiogènes.
Pas de printemps pour Irène
Hélène Degy excelle dans le rôle d’Irène : tour à tour maîtresse fébrile, épouse apparemment soumise mais rompue au mensonge ménager, la jeune comédienne sombre avec beaucoup de justesse dans une folie au départ larvée, puis de plus en plus envahissante. Gaie, saoule, paniquée, divaguante, dévorée par la peur, la comédienne se révèle étonnante dans une prestation habitée, mais jamais excessive. A ses cotés, Ophélie Marsaud est un fantôme-chanteur ou maitre-vision glacial, manipulateur et dépassionné. Aliocha Itovitch est un Fritz amoureux, étonné et impuissant devant l’attitude de sa femme qu’il voit sombrer dans la folie.
L’homme qui n’en savait rien ?
Mais alors que le doute et la peur sont distillés peu à peu, alors qu’Irène sombre lentement dans une folie inquiétante, qu’on ne sait plus où est la part de vérité et de folie, survient le dénouement final inattendu… et s’installe alors l’ombre d’un doute : la folie, l’anxiété, la peur… auraient pu, auraient dû être distillées avec encore plus de perversité, encore plus de trouble, encore plus de doute, d’hésitations, de tiraillements, de pression.
La pièce était presque parfaite.
Il manquait donc quelque chose. Quelque chose d’indéfinissable, un soupçon d’ambiguïté. Une manipulation encore plus machiavélique, un jeu encore plus retors, pervers, pour servir de façon encore plus fidèle la magistrale machination mise en place par Stefan Zweig.
La peur
d’après le roman de Stefan Zweig,
Mise en scène de Elodie Menant
Avec : Hélène Digy, Ophélie Marsaud, Aliocha Itovitch
Jusqu’au 26 février 2017
Réservations au 01 42 65 35 02