Au lendemain des attentats de 2015, Ariane Mnouchkine partait en Inde avec sa troupe pour réfléchir au rôle du théâtre, à son importance, à la réponse qu’il peut apporter. A quoi sert-il ? Doit-il être engagé, politique ? Ou n’être qu’un simple divertissement, servi pour faire rire, pour distraire, pour égayer, sans autre but et bien se garder d’éveiller les consciences ?
Ariane Mnouchkine continue de répondre à sa façon : en s’engageant, en témoignant, en affirmant. Une chambre en Inde, donc, ne sera pas un simple théâtre de divertissement. Et même si l’humour et le burlesque sont omniprésents, ils sont simplement le socle sur lequel repose cette réflexion sur le théâtre. Une chambre en Inde, c’est une chambre avec vue sur le monde.
Recherche inspiration désespérément
La réponse, nous la trouverons à Pondichery. Après que Constantin Lear, le directeur d’une troupe ait été arrêté ivre et nu sur la statue de Gandhi, c’est à son assistante Cornelia (Hélène Cinque, débordante d’énergie et de drôlerie) de mener à bout le projet de théâtre et d’écrire, diriger, emmener son équipe vers une pièce aboutie. Problème, la jeune assistante n’y connait rien et préfère se réfugier dans son lit pour échapper à la tâche : visions et cauchemars se succèdent et viennent hanter son sommeil.
C’est au cours de ces rêves que défilent dans l’esprit de Cornelia les maîtres du théâtre : Shakespeare et Tchekov, qui déplorent de n’avoir pas avoir assez utilisé le rire comme arme de propagande massive (Pourquoi ai-je fait de Richard III un drame, se lamente le grand Will ? ) ou des visions très cinématographiques comme ces djihadistes-cinéastes qui surgissent dans le désert accompagnés d’une musique digne d’un peplum hollywoodien. Bègues, il ne sont pas fichus d’aligner une sentence de décapitation correctement. Les séquences s’enchaînent et l’on voit défiler, dans le sommeil de Cornelia, des kamikazes qui négocient le nombre de vierges qui les accueilleront mais ressemblent davantage à des Pieds Nickelés dévorés de bêtise ou des radicaux qui cousent une ceinture d’explosif sur un mannequin taille enfant. Les scènes sont aussi entrecoupées de passages de Theru Koothu, théâtre ancestral tamoul où était dénoncée parfois la bêtise d’une société ancestrale et racontés des épisodes entiers du Mahâbhârata ; on y verra aussi des passages videos d’une troupe cachée dans les souterrains d’Alep en train de répéter la fin de Richard III sous le feu de Daesh, on reconnaitra le visage du petit Omrane, blessé à Alep dont l’image a fait le tour du monde, ou on rira devant l’arrivée finale d’un Dictateur-Charles Chaplin-barbu-avec petite moustache, enturbanné qui ne veut plus être empereur mais rêve seulement d’un monde meilleur.
Une dramaturgie tâtonnante pour un résultat édifiant
Si la succession de saynètes semble brouillonne et empilée en mille-feuilles fait de bric et de broc, si l’écriture des intermèdes entre toutes ces scènes est approximative, il n’en résulte pas moins, grâce au formidable travail de troupe (qui loin des apparences résulte d’un travail de groupe phénoménal) à l’épatante cohésion de ce travail d’équipe, grâce à l’imagination débordante, bouillonnante et foisonnante d’Ariane Mnouchkine, une réflexion profonde, passionnée et passionnante sur le rôle du théâtre face au chaos dans lequel le monde sombre.
Alors oui, le théâtre existe, a toujours existé, pour éveiller nos consciences, pour témoigner, pour transmettre et éduquer. A travers le rire, à travers les larmes, à travers les mots. C’est ainsi qu’il faut le vivre, l’écrire, le donner, le recevoir. Comme un cadeau à préserver et transmettre à son tour. Ici la forme retenue est la parodie, le burlesque, pour mieux se moquer de ce qui nous fait peur, parce qu’il faut se dépêcher d’en rire, avant d’avoir à en pleurer.
Une chambre en Inde,
Création collective du Théâtre du Soleil
La Cartoucherie, du mercredi au vendredi à 19h30, samedi à 16h, dimanche à 13h30
Jusqu’au 10 février 2017 (relâche du 1er au 10 janvier)
Réservations au 01 43 74 24 08