UN COUPLE IDEAL…
Le rideau se lève au théâtre de l’Oeuvre sur deux silhouettes immobiles. Dos au public, elles semblent figées dans une attente statique. Face au public et à elles, donc, un écran qui projette les visages de Johann et Marianne. Un couple uni, un couple parfait, un couple marié, parent de deux fillettes. Un couple qui raconte, chacun son tour, la genèse de leur rencontre, de leur mariage, de leur histoire. Ils sont heureux, ils sont beaux, ils sont heureux. Ils s’aiment, ils sont heureux (« Nous sommes heureux. Oui, nous le sommes certainement ») Et puis l’ ‘écran se lève et les deux comédiens s’animent sur une première scène.
L’amour sous monitoring
Pour sa première mise en scène Safy Nebbou adapte le film de Ingmar Bergman, inspiré lui même par son mariage avec Liv Ullman. Pendant six saynètes, un couple bourgeois, aisé, éduqué,va échanger sur son mariage, l’adultère, le déni, l’acceptation, la nécessité de se reconstruire. Sous la direction au scalpel de Safy Nebbou Laëtitia Casta, hiératique et sensible Marianne, va dérouler petit à petit, au fil des scènes, une palette de jeu éthérée puis plus affirmée : la chrysalide bourgeoise, au début docilement inféodée à son éducation et son idée du mariage, va peu à peu se transformer et s’envoler. Raphaël Personaz, lui, propose un Johan plus primaire et bassement lâche puis de plus en plus dans le doute, la peur, le regret, la tension.
Atmosphère pinterienne
Il y a du Pinter dans la construction bergmanienne : à coup de saynètes, d’instantanés de vie, de flash back et de plans isolés se dévoile peu à peu une autopsie du couple, du désamour qui le ronge, qui l’érode, d’abord en silence puis avec violence. Dans un décor volontairement dépouillé et neutre (le fond de scène représente un arbre qui est mort au fil des ans comme l’amour de ce couple), Safy Nebbou privilégie une approche clinique, froide, du couple et de son délitement, une mise en scène extrêmement minimaliste au pur service du texte et superbement éclairée par Gérard Espinoza. On peut s’y perdre, on peut s’y lover, y trouver un écho, comme y chercher un poil vainement des émotions plus primales.
L’art de cacher la poussière sous les meubles
Au final, comme le dit si bien Bergman, « Tout n’est que paroles. On parle pour exorciser un grand vide ». A chacun de trouver un sens, son sens, ou pas, dans la froideur clinique de ce focus sur le couple. A chacun de savourer le texte, de le respirer et le humer, d’y trouver ses propres points d’ancrage, de se laisser happer dans ce gouffre de mariage et d’assister à l’effritement progressif du château de cartes soigneusement érigé au fil des ans.
On peut aimer, on peut rester de glace devant cette proposition clinique malgré ses trop rares fulgurances de passion et de désir. On peut s’y retrouver, ou bien s’en défendre à tout prix, se régaler du texte ou regretter un manque d’aspérité certain. Et essayer de revoir le film de Bergman.
Merci aux Théâtres Parisiens Associés, qui regroupent d’autres avis.
Scènes de la vie conjugale d’après l’œuvre d’Ingmar Bergman
Adaptation de Jacques Fieschi et Safy Nebbou
Mise en scène Safy Nebbou
Avec Laëtitia Casta et Raphaël Personnaz
Scénographie Cyril Gomez-Mathieu
Lumières Gérard Espinosa
Jusqu’au 30 avril 2017
Réservations au 01 44 53 88 88