Le rire comme outil éducatif
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C’est un spectacle bien loin des seuls en scène généralement programmés au Palais des Glaces qui se termine ce week-end. Bien au contraire, Djihad nous entraîne sur la route de Syrie, en compagnie de trois jeunes apprentis djihadistes qui quittent leur Belgique natale pour combattre les mécréants.
Il y a Ben le chef de bande vindicatif, Ismaël le suiveur plus mesuré et Reda le gaffeur aussi naïf que touchant. Ils sont nés en Belgique et pourtant s’y sentent étrangers, ostracisés. Ils décident alors que le Djihad leur permettra de mourir en combattants et d’obtenir dans l’au-delà la reconnaissance qui leur est refusée ici. Mais la route de Syrie n’est pas sans embûches pour ces trois branquignols très peu doués et, de bourdes en cafouillages, de confessions en chamailleries, ils apprennent à se connaître et s’interroger sur leur engagement. Peu à peu leur idéologie va s’effriter au fil de leurs désillusions.
« Le théâtre est un point d’optique. Tout ce qui existe dans le monde, dans l’histoire, dans la vie, dans l’homme, tout doit et peut s’y réfléchir, mais sous la baguette magique de l’art. » La pièce écrite par Ismaël Saïdi illustre parfaitement les mots de Victor Hugo et remporte tous les suffrages depuis sa création en 2014. Reconnue d’utilité publique en Belgique (ce qui lui permet d’être vue gratuitement par les scolaires) elle a été applaudie par plus de 55 000 personnes, adultes et jeunes confondus. Force est de reconnaître que le prisme retenu est efficace : sous couvert d’humour parfois potache (Reda, Ben et Ismaël sont aussi peu doués que malins), Ismaël Saidi vient éveiller les esprits et ouvrir les yeux par le rire.
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Le rejet identitaire, la peur de l’autre souvent causée par l’ignorance, l’aveuglement, la manipulation sont abordés avec légèreté, sans être minimisés pour autant. L’écriture très juste, suffisamment fine pour suggérer sans asséner, transmettre sans imposer, permettent à Ismaël Saidi de donner matière à réflexion aux nombreux lycéens venus découvrir Djihad. En faisant fi des tabous et se moquant allègrement les clichés du radicalisme et de l’intolérance, quelque soit leur origine et leur cible, Ismaël Saidi transmet un message collectif dénonçant efficacement le dogmatisme et le racisme.
La mise en scène minimaliste laisse adroitement la place au sujet et au jeu des trois jeunes comédiens, juste, convaincu, parfois très émouvant. L’humour et les clins d’œil distillés, qui peuvent paraître quelque peu racoleurs (allusions à Jawad, à l’utilisation des matraques…) mais établissent sans aucun doute une complicité avec le jeune public, sont autant d’atouts pour un message efficace et fort.
Les feux de la rampe contre l’obscurantisme, le rire contre les armes, la joie contre la peur : on en ressort émus, touchés, ravis que le théâtre soit et reste encore une arme d’instruction que l’on espère la plus massive possible, un outil d’éducation et de transmission.
Spectacle nécessaire et fort, Djihad est le premier volet d’une trilogie théâtrale consacrée au radicalisme. Gehenne, le deuxième volet, suivra le chemin de l’un de ces trois apprentis terroristes.
Djihad
De Ismaël Saidi, avec en alternance : Ismaël Saidi, Adel Djemai, Florian Chauvet et Helmi Dridi, Faycal Safi, Slimane Yefsah, Shark Carrera, Reda Chebchoubi, Théo Askolovitch, Marc Allal, Tigran Mekhitarian, mise en scène de Ismaël Saidi
Palais des glaces jusqu’au 1er avril 2017
Gehenne à compter du 14 avril 2017
Réservations au 01 42 02 27 17
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