
Photo Emmanuel Meirieu
« Quand une chose meurt, même un arbre, elle veut que vous sentiez qu’elle était vivante, elle veut que vous vous souveniez ».
Adapté du roman de l’américain Bruce Machart, Des hommes en devenir nous entraîne sur les pas Tom, Dean, Ray, Sean, Vincent, Soiffard. Six hommes normaux, américains moyens, six hommes qui viennent se raconter, dire, expulser, sans doute, le mal qui les ronge. L’un a perdu son bébé, l’autre pleure la femme qui l’a quitté, celui-ci n’a plus touché une femme depuis son accident, celui-là a perdu un enfant, la femme de l’autre a été assassinée. Le mal, la manque, la douleur, la blessure jamais refermée. Béante et brûlante, qui ne demande qu’à revivre, le temps d’une confession.
La mise en scène de Emmanuel Meirieu est à la fois minimaliste et totale : il n’y a rien sur la scène que ce chien écrasé, écorché, et le micro qui viendra accueillir les récits (et chant) de ces autres écorchés vifs. Des vidéos diffusées sur un voile viennent se juxtaposer aux comédiens, donnant un écho encore encore plus strident, fiévreux aux mots de Bruce Machart. Et du récit de ce jeune auteur, inspiré des grands auteurs nord-américains, comme Russell Banks ou Richard Yates, peintres d’une humanité en déshérence, Emmanuel Meirieu et ses comédiens, en cisèlent chaque mot, chaque silence, chaque souffle comme autant de scalpels qui viennent entailler la sensibilité du spectateur, le toucher au coeur et l’emmener dans un voyage au coeur de l’Amérique profonde, celle où les douleurs sont enfouies dans l’âpreté du quotidien, celles qui se doivent d’être dites pour être acceptées, enfin.
Des mots comme autant de mélopées envoutantes, donc, dits avec force et conviction par des comédiens ardents, bouleversants. De Xavier Gallais, dont les mots se perdent dans un souffle et chuchotent la détresse, à Jérôme Kircher, terriblement poignant (son récit aura sans aucun doute fait frémir toute la salle, consumée elle aussi par la douleur), en passant par Jérôme Derre, d’une intensité remarquable, Loïc Varraut, qui réussit à toucher au coeur sans un mot, ou Stéphane Balmino, dont le chant troublant sera comme un baume pour les spectateurs, tous sont hypnotiques, incarnés et consumés par une émotion qu’ils partagent avec une intensité rare.
Un théâtre dense et bouleversant, douloureusement beau, tristement humain, qu’il ne faut surtout, surtout pas rater.
Des hommes en devenir, d’après le roman de Bruce Machart
Adaptation et mise en scène Emmanuel Meirieu
Avec : Stéphane Balmino, Jerôme Derre, Xavier Gallais, Jérôme Kircher, Loïc Varraut