L’irrésistible ascension des frères B.
Dans la cour qui mène au Poche Montparnasse surgissent deux surprenants personnages : affublés de survêtements bleu électrique, le cheveu court et le sourire affable, ils entonnent des vocalises en saluant le public qui attend encore de rentrer dans le théâtre. La représentation commence donc déjà, dans la cour, et ces deux-là vont continuer de chanter et saluer le public dans le bar, proposant aux spectateurs, pendant qu’ils s’installent, du thé ou des scones. Le savoir-vivre très british et le légendaire flegme sont de mise au Poche, tandis que ces deux frères jumeaux entament le récit de leur vie.
Toujours plus haut, toujours plus vite
On suit donc ainsi le chemin parcouru par ces deux gamins hors-normes, partis de rien dans leur Ecosse natale, et, au départ jeunes livreurs de journaux au Daily Telegraph, parviendront à bâtir un empire industriel où tout s’achète, tout se vend, du moment que la fortune s’accroit et que le profit est là. On oscille souvent entre admiration pour le courage et l’ambition des petits qui voulaient prendre leur revanche (« On a racheté le Daily Telegraph à Rupert Murdoch ! »), et agacement devant leur totale absence de scrupule et leur soif inextinguible de profit, quels qu’en soient les procédés.
Heureux qui comme Icare…
Mais l’argent et le pouvoir ne peuvent parfois rien contre le droit normand… On n’en dira pas plus pour laisser un minimum de surprise… mais nos deux milliardaires devenus vieux se verront opposer un droit séculaire au moment d’organiser leur succession.
Si la presque fable d’Hedi Tillette de Clermont-Tonnerre regorge d’humour et de situations cocasses tant elles paraissent extraordinaires, il ressort de cette histoire en réalité totalement vraie une grande impertinence : le cynisme et l’opportunisme sans scrupules du capitalisme sont dessinés avec verve et ces deux parvenus, même riches à millions, resteront toujours des ploucs dénués d’éducation et de scrupules qui deviennent de moins en moins aimables au fil du récit.
Ardents, fougueux, tout en rythme et en rapidité, Hedi Tillette de Clermont-Tonnerre et Lisa Pajon (en alternance avec Romain Berger) déroulent ce conte moderne avec un efficacité et une énergie communicatives. En parfaite gémellité, ils parlent d’une seule voix parfois, ou chacun leur tour, reviennent dans un récit choral sans jamais perdre le public qu’ils prennent régulièrement à témoin, jusqu’à partager avec quelques-uns le champagne d’une victoire. Un public pris à parti donc, entraîné avec bonheur lui dans cette histoire régulièrement soulignée par des petites vidéos, une histoire au rythme nerveux et saccadé dont les à-coups sont autant de chocs calculés par la mise en scène (signée par l’auteur). On adore les voir danser sur Kim Wilde, on les admire autant qu’on les méprise.
Et la Reine, dans tout ça ? Une chose est sûre, en découvrant ce fameux droit normand, on a juste envie de chanter God save the Queen.
Les deux frères et le lion, Texte et mise en scène de Hedi Tillette de Clermont-Tonnerre
Avec Lisa Pajon ou Romain Berger (en alternance) et Hedi Tillette de Clermont-Tonnerre et la participation de Christian Nouaux
Musiques originales de Nicolas Delbart et Olivier Saviaud
Lumières Grégory Vanheulle
Création vidéo : Christophe Waksmann
Théâtre du Poche Montparnasse jusqu’au 26 novembre
Réservations au 01 45 44 50 21