
Crédit photo Théâtre Coté Cœur
Rendez-vous en terre inconnue.
La rue Malte Brun était transformée ce dimanche en un mini-terrain de jeu où les spectateurs, et les passants, pouvaient s’entrainer : deux cages et un ballon suffisaient aux petits et grands pour s’immerger, avant même le début du spectacle, dans l’ambiance de Stadium. Stadium, c’est deux ans de travail documentaire avec des sociologues, deux ans de rencontres, d’échanges, d’immersion pendant lesquels Mohamed El Khatib, ancien footballer, a appris à connaître les supporters lensois, qualifiés de « meilleur public de France ». Et c’est donc ce meilleur public, ou tout au moins une cinquantaine d’entre eux que les spectateurs de la Colline découvrent pendant deux fois 45 minutes séparées par une mi-temps. Deux heures d’aventure immersive aux antipodes des habitudes du public parisien. Deux heures qui passent à toute allure.
Présents par de courtes vidéos ou sur scène, cette brochette de passionnés vient présenter, défendre, son club et sa passion, sa vie. On découvre ainsi Jeremy le Capo, chargé d’entrainer les supporters dans le stade, Margaux la pompom girl lucide (« Il faut tenir les spectateurs par les pompoms ») , l’arbitre « payé pour se faire traiter de fils de p… chaque week end», le curé du village qui a choisi entre Dieu et le football mais il s’en est fallu de peu, ou bien Yvette la doyenne qui a commencé à supporter le club à 8 ans et en a aujourd’hui…85. Tous sont présents, tous sont fervents, tous sont ardents. Un condensé de joie, de communion partagée, qui vient balayer les clichés ou plutôt leur faire un sort en présentant sans voyeurisme (mais sans fausse pudeur non plus) des hommes et des femmes issus d’une région laminée par la crise, où le chômage a explosé depuis la fermeture des mines, tout comme les votes pour le Front National. De ce théâtre documentaire et sociétal signé Mohamed El Khatib on retiendra la mixité sociale, la solidarité, le besoin viscéral de se regrouper, de communier ensemble dans la ferveur d’un stade et d’un match. On retiendra aussi cette capacité d’autodérision (comment lire la fameuse banderole brandie par le PSG en 2008 et la trouver « objectivement bonne ») ou d’auto-critique (même si le plaidoyer pour les « ultras » ne convainc qu’à moitié).
Un exercice périlleux que Mohamed El Khatib réussit en toute simplicité : si au début Clémentine, la jeune supportrice, ne parvient pas à entrainer le public encore sur ses gardes quand elle entonne une chanson de Sardou (« c’est un peu la honte, non ? glisse-t-elle en souriant humblement) cette même salle se lèvera d’un bond aux saluts, pour finir en tapant des mains et chantant les Corons à tue-tête.
Périlleux, donc, et réussi, même si on aurait aussi aimé voir ou entendre ces fameux joueurs, ou leurs représentants. On aurait aimé entendre leur gratitude, savoir comment ils accueillent et reçoivent toute cette générosité et cette dévotion. Le public parisien, lui, a bien pris conscience de ce dévouement sans conditions. Pour combien de temps ? La salle comble n’ira pas pour autant brandir des drapeaux dans les stades mais qui sait, regardera peut-être d’un œil plus bienveillant ces supporters lensois et n’oubliera pas cette singulière leçon d’humilité.
Promis, le 13 octobre, je serai avec Lens dans mon cœur en chantant Les corons. Et tant pis pour les burgiens.
Stadium, Mohamed El Khatib, avec 55 supporters du RC Lens
jusqu’au7 octobre 2017, réservations au 01.44.62.52.52