Vol au dessus d’un nid de passions
Wahida, Eitan : elle est américaine et arabe, il est allemand et juif. Ils se rencontrent dans une bibliothèque de New York où Wahida termine sa thèse sur le diplomate Hassan al-Wazzan (Léon l’Africain). Ces deux là s’aiment au premier regard.
De la rencontre à New York de ces deux jeunes gens que tout semble opposer, de l’attentat dans lequel ils seront aspirés à Jérusalem, de Berlin où vit la famille de Eitan, Wajdi Mouawad tisse une fresque familiale qui, au-delà de l’histoire de Wahida et Eitan entremêle les fils d’une tragédie bien plus large et universelle. Et il n’a pas son pareil pour créer un patchwork dense fait de l’histoire de Eitan et sa famille juive décimée par la Shoah mais installée à Berlin après la guerre, du déchirement israélo-palestinien qui ronge ces personnages, de leurs racines qui subitement demandent à être cherchées, pistées, retrouvées. Un grand-père déporté, une mère fragile qui préfère renier le passer, une grand-mère qui a abandonné son fils, un père fermement arrimé à ses haines qui finira dévasté par sa propre histoire, Wajdi Mouawad tisse comme personne les rets familiaux qui enserrent ses personnages et les empêchent parfois de respirer tant ils ont été trop serrés ou au contraire sont trop lâches pour qu’ils puissent s’y accrocher. On plonge alors dans ses récits, petit à petit aspirés dans ces entrelacs de souffrances et de quêtes, petit à petit happés par ce récit épique et brûlant, cette spirale que Mouawad est l’un des rares à savoir former, dans laquelle on se laisse enferrer sans résistance.
Chant polyphonique
Avec des éléments de décors spartiates (une table, quelques chaises), une scénographie toujours aussi simplement belle parce que réduite au minimum pour épouser le texte mais éclairée avec brio pour le mettre parfaitement en exergue, Wajdi Mouawad dirige ses comédiens avec une justesse épatante. On ne sait par qui commencer : Souheila Yacoub, magnifique Wahida, Jérémie Galiana, touchant Eitan, Judith Rosmair, rigide Norah, Raphael Weinstock, émouvant David, ou tous les autres, parfaitement justes, habités par leurs personnages et par leurs histoires, tous simplement là, simplement eux.
Et on peut dire qu’ils sont épatants, tous passant d’une langue à l’autre, surfant de l’américain à l’hébreu, de l’allemand à l’arabe. On ne s’y perd jamais, on suit ces petits cailloux semés par l’auteur, on écoute, on sourit, on rit aussi, parce Mouawad sait toujours parsemer ses récits de bulles de fraicheur, on frémit et on se laisse emporter par la force de son récit, comme d’habitude.
Qui sommes nous ? Que sommes nous ? L’autre est-il réellement autre ou ne sommes nous pas tous, en réalité, les mêmes ? Comment se défaire des haines ancestrales et comment briser le silence ?
Mouawad y répond à sa façon : en laissant le spectateur plonger dans ses histoires, y puiser ses propres réponses, ses propres désirs,et prendre son propre envol.
Tous des oiseaux, texte et mise en scène Wajdi Mouawad
avec Jalal Altawil, Jérémie Galiana, Victor de Oliveira, Leora Rivlin, Judith Rosmair, Darya Sheizaf, Rafael Tabor, Raphael Weinstock, Souheila Yacoub
assistanat à la mise en scène Valérie Nègre, dramaturgie Charlotte Farcet, conseil artistique François Ismert, conseil historique Natalie Zemon Davis, musique originale Eleni Karaindrou, scénographie Emmanuel Clolus, lumières Éric Champoux
Théâtre national de la Colline, jusqu’au 17 décembre, puis au TNP de Villeurbanne
Réservations au 01 44 62 52 52