Avis de vent calme à la Comédie Française
SI la tempête fait rage quand démarre la pièce de Shakespeare, c’est une rage intérieure, un bouillonnement invisible, que découvrent les spectateurs du Français venus découvrir la première incursion de Robert Carsen au théâtre, plus habitué aux mises en scène d’opéra ou de comédies musicales comme Singin in the rain, que l’on peut encore découvrir au Palais Royal cet hiver. Le rideau se lève sur une imposante cellule blanche, aussi clinique que glaciale. Au centre, un lit sur lequel repose Prospero. Le Duc de Milan, chassé du trône par son frère et exilé sur une île avec sa fille Miranda, ressasse inlassablement son passé ; aidé par Ariel, l’esprit de l’air, il a asservi Caliban, le fils d’une sorcière, pour régner sur cette île. Il provoque une tempête pour que le navire de son frère Antonio et ses hommes s’y échouent.
Une tempête et un déchainement qui seront donc, chez Robert Carsen uniquement dans l’esprit de Prospero. De ce rêve, de ce bouillonnement, ne reste qu’une scénographie ultra léchée toute en blanc et gris, y compris les costumes des comédiens. Un minimalisme étonnant qui séduit par son épure et ses lumières magnifiques qui projettent les ombres gigantesques des comédiens sur les murs. Des vidéos projetées en noir et blanc en fond de scène ajoutent un peu de vie ou d’éléments à ce décor monacal. Le tout est à la fois glaçant et imposant, austère et hiératique. Terriblement beau, terriblement froid.
De ce dépouillement calculé et cette épure volontaire, subsiste le jeu des comédiens, tous excellents – nous sommes au Français : Michel Vuillermoz incarne un Prospero grave et nostalgique, dont on devine les déchirements intérieurs entre désir de vengeance et de paix. Christophe Montenez est un Ariel gracile qui semble flotter ; pas facile d’incarner un esprit : il semble insaisissable et pourtant omniprésent, aussi discret que puissant. Le couple Miranda / Ferdinand est interprété par Gorgia Scalliet et Loïc Corbery : un petit air de ferveur amoureuse et de fraîcheur vient raviver la mélancolie de Prospero : joli. On n’oubliera pas la prestation de Stéphane Varupenne, drolatique Caliban aussi bête qu’ivrogne, ou celles Jérôme Pouly et Hervé Pierre, truculents Stefano et Trinculo.
Une tempête donc mentale, dont le traitement radical de Robert Carsen peut laisser sur le bas-côté. La scène d’ouverture m’a fait craindre le pire avec cette cellule clinique et désincarnée. La deuxième partie a réussi à emporter la spectatrice que je suis, aspirée par le texte de Shakespeare, la très belle scène entre Ferdinand et Miranda, et la scénographie de Radu Boruzescu. La dernière, après l’entracte, m’a de nouveau laissée de côté avec le retour à l’austérité. Un traitement trop minimal qui ne sert pas assez le bouillonnement imaginé par Shakespeare autour du pouvoir, de la vengeance et de l’amour.
Une tempête donc un peu trop froide pour réellement susciter mon adhésion, dont je garderai en tête le jeu toujours impeccable des comédiens, foncièrement au service de leur metteur en scène et la scénographie au minimalisme certes clinique mais extrêmement léchée.
La tempête de William Shakespeare
M.E.S de Robert Carsen.
Avec : Thierry Hancisse, Jérôme Pouly, Michel Vuillemoz, Serge Bagdassarian, Hervé Pierre, Gilles David, Stéphane Varupenne, Giogoa Scalliet, CHristophe Montenez, Benjamin Lavernhe, en alternance avec Noam Morgenstern
Comédie-Française, jusqu’au 21 mai 2018
Réservations au 01 44 58 15 15
Merci pour cet article !
J’hésitais justement à aller le voir, malgré l’avis nuancé, ça m’a plutôt rendu curieux, pour le jeu des acteurs en particulier… 😉
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Il faut donc aller le voir, et vous faire votre propre avis. Vous viendrez me dire ce que vous en avez pensé ?
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