Métaphysique du rien
Et si tout avait déjà été dit et que nous ne faisions que répéter à l’infini des conversations déjà ressassées à l’envi par d’autres des dizaines de fois ? Sur ce constat somme toute profondément captivant et intrinsèquement intriguant Pierre Bénézit a bâti une histoire absurde mais pas que, drôle mais pas que, tendrement loufoque, totalement.
Quand le public s’installe, Paulbert est déjà sur scène. Absorbé par la tâche, il écrit, rature, corrige, des mots jetés sur une feuille de papier. Gérard va le rejoindre : les deux hommes vivent dans une ancienne épicerie quasiment vide. Pour survivre, ils écrivent des conversations qu’ils vendent à ceux qui ne savent pas quoi dire. Diner, brouhaha, conversation de bus ou téléphoniques, ils sont en mesure de fournir n’importe quelle discussion à leurs clients. Arrive une femme, Barbara, qui veut acheter du vin ; ils envoient leur voisine chercher du vin dans une autre épicerie. En patientant, Barbara les interroge sur leur activité.
Un vrai plaisir que la rencontre de ces trois-là qui emmène les spectateurs dans leur conversation délicieusement loufoque. Des hommes préhistoriques qui ont raflé toutes les discussions possibles sans en laisser aux suivants, du temps qui passe et du présent qui n’existe déjà plus ou qui tourne en boucle, de la vacuité de nos existences et de la condition humaine dans son ensemble, les assertions tour à tour saugrenues et drôles de ces deux bonhommes et les questions candides de Barbara réussissent, l’air de rien, à faire rire tout en soulevant des questions parfaitement métaphysiques voire philosophiques sur le sens de la vie et des pouces qui tournent.
Les trois comédiens sont épatants : l’ex-Deschiens Olivier Broche incarne avec bonhommie une Gérard placide et atonique, Vincent Debost est un Paulbert drôlement pathétique à moins que ce ne soit pathétiquement drôle tandis qu’Anne Girouard apporte une touche d’ingénuité et de fraicheur dans cette baignoire pleine d’absurdités.
Une petite heure donc délicieuse, suffisamment farfelue pour faire oublier sa journée (et je vous garantis qu’après une semaine éminemment compliquée ce fut éminemment salvateur) et qui pourra fournir des réflexions plus métaphysiques et existentielles à ceux qui ne savent pas quoi dire à leur prochain diner. Promis, je vais essayer.
Penser qu’on ne pense à rien c’est déjà penser quelque chose
Texte et mise en scène Pierre Bénézit
Avec Vincent Debost, Anne Girouard, et Olivier Broche remplacé par Luc Tremblais les 9, 13, 18, 20, 27 janvier et les 2, 6, 8 et 10 février
Scénographie Pascal Crosnier
Création lumière Julien Crépin
Théâtre de Belleville, jusqu’au 4 mars 2018
Réservations au 01 48 06 72 34
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