Un Pinter tout en finesse au Lucernaire
La femme, Emma ; le mari, Robert ; l’amant, Jerry : une équation qui pourrait être uniquement vaudevillesque mais qui chez Harold Pinter transforme le triangle amoureux en dissection des rapports amoureux et amicaux. Car Pinter ne se contente pas de narrer une banale histoire d’adultère, il la conte à rebours : dans la première scène, Emma et Jerry se retrouvent dans un bar. On devine vite qu’ils ont été amants et que cette liaison est terminée. Emma apprend à Jerry qu’elle a tout avoué à Robert deux ans auparavant. Ce pourrait être un épilogue presque serein, le point final d’une histoire terminée, il n’en est rien car chez Pinter rien n’est aussi simple : Jerry est le meilleur ami de Robert. Qui sait donc depuis deux ans que son ami a été l’amant de sa femme. Qui dupait donc qui ? L’histoire se découpera ensuite en tableaux successifs qui remontent le fil du temps jusqu’à la rencontre entre Emma et Jerry.
Christophe Gand s’attaque à son tour à ce monument pinterien en s’attachant avant tout à la psyché des personnages, en distillant des silences qui s’étirent comme autant d’échos lancinants qui viennent remplir les non-dits. Une retenue qui pourrait paraître très littérale mais réussit à tendre l’atmosphère et rendre palpables toutes les trahisons minimes et infimes qui s’amoncellent et s’entrelacent au sein de ce trio au fil des ans.
Pour servir cette mise en scène, les trois comédiens donnent corps aux personnages avec subtilité. Gaëlle Billaut-Danno est une Emma toute en finesse dont on devine progressivement l’évolution et l’émancipation, François Feroleto donne à Robert une épaisseur à la fois cynique et insondable tandis que Yannick Laurent campe un Jerry qui devient de plus en plus ambigu, partagé entre passion et amitié, fidélité et liberté. A leurs cotés Vincent Arfa (le serveur) s’amuse en Maître du temps : il modifie un calendrier au fil des scènes tout en changeant le décor à vue (décor astucieusement conçu pour se transformer en un tour de main).
Une mise en scène classique et une interprétation toute en finesse qui fait de ces Trahisons un joli moment où le temps, justement, s’inverse pour laisser place à une tragédie plus complexe. Une tragédie dont les strates se révèlent au fil des scènes jusqu’au moment précis où le détonateur s’est enclenché.
Trahisons, de Harold Pinter
Mise en scène de Christophe Gand
Avec Gaëlle Billaut-Danno, François Feroleto, Yannick Laurent, Vincent Arfa
Scénographie : Goury
Théâtre du Lucernaire jusqu’au 18 mars 2018
Réservations au 01 45 44 57 34