Histoires d’amour et de famille au théâtre Hébertot
Gabriel Orsini, un artiste peintre en mal d’inspiration, hérite de l’appartement d’une autre peintre. Il ne se connaissaient pas et le sexagénaire maussade y voit un adoubement posthume, une reconnaissance de son talent qui ne demande qu’à rééclore après un long passage à vide. En prenant possession du magnifique duplex, il découvre alors que Sacha, l’artiste nonagénaire, ne lui a pas légué ses biens uniquement pour son art : le contenu des placards va le ramener à une histoire familiale complexe.
Dès le lever de rideau, on comprend que le décor sera le sixième comédien de la pièce de Stéphane Archinard et François Prévôt-Leygonie, et non des moindres. La scénographie millimétrée fait pivoter la structure d’un appartement au gré des scènes et, associée à un éclairage franc (époque moderne) ou sépia (années 50), permet d’alterner les époques en passant de l’histoire de Gabriel, de nos jours, à celle de Samuel, son grand-père banquier, 50 ans auparavant. Ingénieux comme chez Simon Stone, magnifique et captivant.
Didier Bourdon interprète à la fois Gabriel et Samuel, en passant d’un personnage à l’autre avec célérité. Si l’exercice est périlleux, il le surmonte sans difficultés malgré le laps de temps très court entre deux scènes / personnages, mais son incarnation pâtit de ce jonglage incessant : ses deux personnages à fortes personnalités manquent parfois de relief quand il ne s’empêtre pas dans des grimaces superflues. Concentré sur son jeu et son texte, il en oublie d’occuper la scène et l’espace et est, pour le coup, plus fade que ses partenaires de jeu : Thierry Frémont, tout en finesse le rôle de son galeriste ami de toujours, qui lui doit beaucoup et en attend tout autant, mais aussi Pierre-Yves Bon, plus que convaincant dans le rôle d’Abel, son fils trader avec qui la relation père-fils est conflictuelle. En Samuel, Didier Bourdon compose ceci dit de façon plus convaincante face aux humeurs changeantes de sa maîtresse Sacha (Valérie Karsenti, une nouvelle fois talentueuse et très loin du registre auquel elle a habitué les téléspectateurs) l’artiste slave qui porte haut l’indépendance féminine. Elise Diamant, dans le rôle de la fille de Samuel et (mère de Gabriel) complète la distribution avec un jeu assez neutre mais le personnage ne lui permet pas beaucoup plus.
La finesse de la pièce, malgré une écriture parfois trop appliquée (« – Tu ne dis rien ? – A quoi bon ? Là où tu es tu ne m’entends pas. ») qui vient combler un léger manque de profondeur dans ce tableau de relations intergénérationnelles, tient selon moi essentiellement dans la symétrie des rapports entre Samuel / Gabriel et et Gabriel / Abel, mais aussi dans l’habile tissage entre passé et présent, où chaque élément, tableau, bibelot, lettre ou bouteille de champagne, prend un sens différent mais tout aussi touchant.
Malgré ces réserves, on ne peut qu’applaudir la fluidité de l’alternance des époques, l’ingéniosité de Ladislas Chollat dans ses choix de mise en scène et la magnifique scénographie signée Emmanuelle Roy qui méritent le détour, les nombreux et chaleureux applaudissements du public en étant la preuve.
(Critique rédigée avec Complice_ de_théâtr’elle)
Les inséparables, de Stéphane Archinard et François Prévôt-Leygonie
Mise en scène de Ladislas Chollat, Scénographie Emmanuelle Roy, Lumière Alban Sauvé
Avec Pierre-Yves Bon, Didier Bourdon, Elise Diamant, Thierry Frémont, Valérie Karsenti
Théâtre Hébertot jusqu’au 20 mai 2018
Réservations au 01 43 87 23 23