L’opéra-trash à ne pas mettre en toutes les mains
Dans la grande scène de la salle René Barrault du Rond-Point, les spectateurs s’installent sous le regard exaspéré d’une vieille dame assise à jardin, qui semble vitupérer intérieurement et sur le point d’user de son fusil. On s’installe, on papote, on attend, puis on découvre la ravissante scénographie d’Audrey Vuong : la scène est transformée en une campagne bucolique où arbres, buissons, bosquets abritent une petite bicoque toute de guingois. Une barque attend sagement au bord d’un lac, un étang, à moins que ce ne soit une mare. C’est dans ce cadre enchanteur qu’une famille vient passer le week end : le père (désopilant François-Michel van de Rest) , affublé de sa toute jeune toute nouvelle et toute frétillante épouse (Lara Neuman), le fils (Flanan Obé), sur qui ladite jeune et frétillante épouse n’est pas sans faire d’effets, et enfin la grand-mère (hilarant Jean-Paul Muel), ou plutôt dès elle pourra s’extraire de la voiture où ils l’ont oubliée après avoir perdu la clef, et qu’elle aura séché après être tombée dans la mare (la clef, pas la grand-mère). Mais rassurez-vous, au final tout le monde est mouillé dans cette histoire.
A jardin, deux musiciens plus ou moins cachés accompagneront au piano et au violoncelle les quatre comédiens-chanteurs tout au long de cette comédie-érotico-scato-porno délirante.
Vous l’aurez compris, tout va très vite partir en vrille (restons polis) dans ce week end qui s’annonçait bucolique et qui finira … pornographique. Un enchainement de quiproquos, des pulsions qui se libèrent et voilà les quatre vacanciers entrainés dans une frénésie fornicatrice débordante.
Choquant ? Oui parfois, tant les limites sont franchies et peuvent venir chatouiller certains tabous personnels, et non, parce que le tout est fait avec une énergie et un joie vraiment visibles par les quatre comédiens. On se demande sans cesse jusqu’où ils oseront aller, et l’on comprend très, très vite qu’ils n’auront aucune limite, aucun interdit, aucun frein. A chaque situation, on se dit que non, ils n’oseront pas eh bien oui, ils osent, et ce avec un aplomb et un culot tels qu’on ne peut que rire de leur folie orgiaque. Il faut dire que le décalage entre le propos et son traitement en opérette permet de prendre beaucoup de distance avec l’histoire et que le talent des comédiens-chanteurs lyriques est indiscutable : plus c’est gros, plus ça passe, les situations les plus scabreuses et les plus crues déclenchent les éclats de rire du public.
J’ai découvert Pierre Guillois avec Bigre, vu l’an dernier (beaucoup trop tard donc). Après tout le monde, j’avais plongé dans l’univers barré burlesque de l’auteur avec une délectation sans pareilles. On est loin ici de la petite poésie et de l’émotion qui se cachaient derrière les péripéties des trois trentenaires. Ceci dit, en y réfléchissant, on retrouve non pas de la poésie, (laissez-tomber, il n’y en a pas un gramme dans cette histoire), mais cette façon particulière qu’a Pierre Guillois de raconter une histoire, en additionnant les saynètes, en oubliant volontairement leur réalisme et en exacerbant tout, des sentiments aux situations. Des petits travers humains scrutés avec un l’effet loupe de la caricature, et ce n’est pas sans me déplaire.
Je ne les ai pas vus mais il parait que quelques spectateurs sont partis hier avant la fin. Une chose est sûre, cet Opéra Porno pourra choquer quelques esprits chagrins : il faut alors laisser ses interdits et ses tabous au vestiaire et, une fois prévenus, risquer le coup et aller rire, parce ce qu’un peu d’audace et de provocation n’ont jamais fait de mal, au final. En on laisse les enfants à la baby-sitter, ou la grand-mère. Quoique, non, pas la grand-mère.
Opera porno
texte et mise en scène : Pierre Guillois
Composition musicale et piano : Nicolas Ducloux,
Avec : Jean-Paul Muel, Lara Neumann, Flannan Obé, François-Michel Van Der Rest,
Violoncelle : Jérôme Huille, en alternance avec : Grégoire Korniluk
Théâtre du Rond-Point jusqu’au 22 avril
Réservations au 01 44 95 98 21