Jennifer Decker ou la passion brute
C’est une Phèdre de glace et de feu que l’on découvre en se rendant au Studio Théâtre. Une Phèdre consumée par la passion, glacée par son statut de reine et sa position de belle-mère. On connaît tous l’histoire de cet amour incestueux : le texte de Sénèque s’arrête à l’histoire brute de cette passion animale, dénué de tout ajout superflu. Bref, concis, il se concentre sur les faits : Thésée est parti, laissant sa femme Phèdre et son fils, le pur Hyppolite qui ne rêve que de chasse. Phèdre, elle, ne rêve que d’Hyppolite. Une passion tumultueuse, dévorante, qui la brisera. Qui brisera Hyppolite.
Il n’y a rien sur la scène, que le vide. La place est entièrement laissée aux comédiens et au texte traduit par Florence Dupont. Un texte puissant, sans fioriture, qui résonne avec d’autant plus de force entre les murs Studio Théâtre. Il résonne aussi d’autant plus que les comédiens choisis par Louise Vignaud le servent avec une justesse et une intensité qui impressionnent, à commencer par Jennifer Decker. La jeune pensionnaire est une reine accablée de désir, brisée par cette passion incestueuse qui la ronge petit à petit. Elle sait qu’elle en mourra mais ne peut y échapper. Refusant d’être reine elle se défait de sa robe impériale pour n’être plus qu’une femme et céder à cette pulsion. La voix rauque, le corps tendu, Jennifer Decker s’abandonne totalement à son personnage, laissant le feu l’envahir, sans jamais sombrer dans l’excès, maitrisant remarquablement sa composition. Animale, admirable.
Nazim Boudjenah est un Hyppolite vertueux troublé par cet amour mais décidé à fuir la femme possédée qui le dévore et le fait sombrer dans sa folie. Un rôle difficile face au personnage irradiant de sa partenaire, qu’il assure pourtant avec sobriété et sans jamais s’affadir. Thierry Hancisse habite la scène par sa seule présence et donne à Thésée une puissance solide qui ploiera sous le poids des regrets dans les tous derniers instants. La distribution est complétée par Claude Mathieu, excellente nourrice, et Pierre-Louis Calixte, le chœur.
Le texte brut et abrupt, servi par une distribution impeccable, résonne intensément grâce à la mise en scène minimaliste de Louise Vignaud : il en reste l’essence même de la passion, du feu et de la violence qui consument Phèdre et réduisent à néant tous ceux qui l’entourent, victimes impuissantes d’un amour animal, dévastateur.
S’il y a une chose qui est belle au théâtre, c’est de voir des comédiens et un metteur en scène se mettre purement, entièrement, viscéralement, au seul service du texte. Des comédiens et un metteur en scène s’effacer totalement pour servir leur auteur. C’est le cas ici avec ce Phèdre d’une beauté écrasante.
Phèdre, de Sénèque, traduction de Florence Dupont
Mise en scène de Louise Vignaud
Avec Jennifer Decker, Nazim Boudjenah, Thierry Hancisse, Claude Mathieu, Pierre-Louis Calixte
Scénographie Irène Vignaud
Costumes Cindy Lombardi
Comédie Française, Studio Théâtre jusqu’au 13 mai
Réservations au 01 44 58 15 15
Merci pour cet article.
Une très belle mise en scène de Louise Vignaud pour ce classique.
Bonne journée,
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