Être juré au XXVIIème Festival de Maisons Laffitte

Affiche Festival 2018 ML

« Tu vas voir : cette année, c’est du lourd ! » m’a dit Sébastien Biessy en me proposant de faire partie du jury du 27ème Festival de Théâtre de Maisons-Laffitte, proposition que j’ai vite acceptée, après y avoir chroniqué les spectacles lors de la 26ème édition. Nous étions donc 4, cette année, pour juger les 10 pièces en compétition de cette 27ème édition du Festival et mes co-jurés étaient tous professionnels : Frédéric Chevaux, comédien (on a pu le voir dernièrement dans Politiquement correct quand il a remplacé Thibaud de Montalembert) et auteur de romans jeunesse (Président du Jury), Gwenda Guthwasser, comédienne chanteuse et Olivier Fournel, metteur en scène, ancien administrateur du Théâtre Ciné 13.

Notre mission, telle qu’elle nous a été confiée par les organisateurs du Festival, était de juger les troupes « en l’état de professionnels ». Autre consigne : ne pas parler aux troupes de leurs prestations et ne rien laisser filtrer de nos délibérations. Hormis ces deux consignes, nous étions totalement libres de choisir, d’ajouter un ou des prix à ceux du Cheval d’Or (1er prix), Cheval d’argent – Prix du jury (2ème prix), prix d’interprétation féminine, prix d’interprétation masculine. Deux autres prix sont également décernés : le prix des collégiens et le prix du public.

Libres, donc, et c’est ce qui fut le plus agréable, d’autant que nous avons été toujours, tous les 4, unanimes dans nos impressions, toujours, tous les 4, exactement sur la même longueur d’onde.

Ce furent donc des échanges et des discussions enjouées, autour du théâtre, de nos visions respectives, de nos attentes. Nous étions tous d’accord : hors de question d’un palmarès où tout le monde a gagné, hors de question de ne pas savoir trancher. Nous avons donc dû faire des choix, et je pense pouvoir dire que ce palmarès nous ressemble.

Notre palmarès est le suivant :

Cheval d’Or : Le bon côté des choses, d’après les monologues radiophoniques d’Alan Bennett par la Compagnie Chaos Léger. Plusieurs monologues tirés du recueil Moulins à paroles ont été regroupés et mélangés pour aboutir à une comédie à l’humour aussi noir que british qui nous embarque sur les pas de 4 anglais de classe moyenne pas si heureux qu’il y parait. Un bonbon aux couleurs acidulées qui se révèle de plus en plus acide au fil de l’histoire. Bonheur.

Cheval d’argent – Prix du jury : Contes d’amis, après Eric Rohmer, par la compagnie Les écriés. Un petit bijou de créativité, d’inventivité, autant pour les décors, la mise en scène et le jeu, impeccable, des 4 jeunes comédiens tout justes sortis de leur école de théâtre. Émerveillement.

Prix d’interprétation féminine : on les a adorées, on n’a pas pu choisir entre les 3 car leur travail de groupe nous a impressionnés. Nous avons donc donné le prix à Valérie Hahn, Nelly Goujon et Stéphanie Le Tohic, les trois comédiennes de Le bon coté des choses, par la Compagnie Chaos Léger. Joie partagée.

Prix d’interprétation masculine : il y a eu discussions, hésitations car Jean-François Lecomte nous avait bluffés dans Jean et Béatrice… mais non, nous avons choisi Jean-Jacques Douet pour son interprétation à la fois hilarante et touchante de Graham Whittaker dans… Le bon côté des choses. Obstination !

4 prix, 2 pièces donc. Un choix assumé, parce Le bon coté des choses nous a tous impressionnés par sa maitrise globale, la difficulté de mixer des monologues pour en faire un récit choral, l’ingéniosité des décors amovibles et transformables, la direction d’acteurs au cordeau et le plaisir évident des comédiens, leur engagement sans limites et assumé.

Mais deux autres pièces nous ont transportés et nous ne voulions pas les laisser sur le carreau, aussi avons-nous profité de notre liberté pour accorder deux prix supplémentaires :

Prix de la mise en scène : Salomé Elhahad, pour Habiter le temps (compagnie Poupées russes). Habiter le temps retrace l’histoire, sur 3 générations, d’une famille et des douleurs transgénérationnelles qui se transmettent dans l’inconscient familial. Il y avait donc sur scène 3 générations (1913, 1968, 2004), 3 histoires, 6 comédiens qui jouaient de concert et se faisaient écho sans que jamais le public ne se perdre entre les époques. A noter que cet auteur suédois (Rasmus Lindberg, à retenir !) n’a encore jamais été joué en France. Brillant.

Coup de cœur du jury : Pédagogie de l’échec, par la compagnie Très en scène. Nous sommes tombés sous le charme de l’humour absurde et décalé de Pierre Notte (dont je suis grande fan depuis Moi aussi je suis Catherine Deneuve), sous le charme de la mise en scène, mais aussi et surtout sous le charme de l’interprétation plus que parfaite de Marie Devaux et de son partenaire Jean-François Carette.

Le prix du public a été attribué à : Jean et Béatrice, par la compagnie Théâtre sur Cour. Après chaque représentation, 10 spectateurs sont invités à attribuer des notes au spectacle selon plusieurs critères (histoire, mise en scène, jeu des comédiens, émotions…). Prix largement mérité pour cette comédie douce amère brillamment interprétée.

Le prix des collégiens a été attribué à Habiter le temps. C’est un vrai plaisir de voir ces 13 collégiens retenir un spectacle au thème difficile, à la mise en scène complexe (mais en fait limpide !), loin des comédies trop faciles. Réconfortant.

5 autres spectacles ont été joués en compétition :

Métro Huis-clos dodo, de Arnaud Patron, par la compagnie Faits d’Arts Scéniques : beaucoup d’idées saisies à bras le corps sans être approfondies, un concept de base prometteur qui s’éparpille très vite et perd toute cohérence. Frustrant.

La petite seconde d’éternité, d’après les poèmes de Prévert, par le collectif Lilalune : exercice périlleux mal ficelé, des poèmes enfilés sur un fil dramaturgique bancal, aussi bancal que le miroir dans lequel la comédienne se regarde jouer. Agaçant.

Caprice(s), d’après Alfred de Musset, par la compagnie Comme c’est Bizarre. L’intention était louable, voire prometteuse : malheureusement le jeu hasardeux des comédiens et les chansons m’ont très vite rebutée (chorégraphie de la Macarena sur du SIA dans un Musset ne font pas bon mélange, désolée). Décevant.

Le salon d’été, de Coline Serreau, par la compagnie La Trappe : spectacle musical qui entremêle les histoires de 3 quartets sur trois époques différentes : l’exercice était difficile, il est exécuté avec joie et énergie. Séduisant.

Sur’Pop, par la compagnie Les horloges lumineuses : écriture truffée de clichés et d’assertions navrantes, mise en scène racoleuse, direction d’acteurs inexistante. Horripilant.

Enfin, hors compétition :

Carmen par la compagnie Artelyria : je suis bien incapable de juger un opéra, même amateur. Un gros manque de mise en scène, malgré un plaisir évident pris par les chanteurs. Et une très jolie scène avec les enfants.

Le crépuscule, de Zweig, par la compagnie Point du jour : si l’histoire est mélancolique, la mise en scène et surtout l’interprétation des comédiens en font un moment lumineux de sensibilité, d’émotion et de douceur. Marie Devaud (encore) y est impressionnante. Magique.

Les pieds dans le vide de Lilian Lloyd par la compagnie des Lilas : une comédie romantique menée tambour battant sur fond de solitudes urbaines et de cœurs abîmés, très joliment interprétée. Ravissant.

Une bien belle expérience, donc, que d’être juré d’un festival que je connais et suis depuis des années. D’une part pour la qualité et la variété de sa programmation (les spectacles qui ne m’ont pas touchée ont su trouver un autre public, et c’est finalement, tant mieux voire rassurant), d’autre part pour l’atmosphère sympathique et joyeuse qui y règne durant 4 jours : piques-niques avec les troupes, échanges, critique-cafés organisés après chaque spectacle pour les collégiens… Tout y respire l’amour du théâtre dans une ambiance bon enfant bienveillante et joyeuse, mais toujours exigeante. L’édition 2018 était réussie, et 3000 spectateurs ont fait le déplacement. De quoi réjouir l’équipe organisatrice, toujours joyeuse et passionnée, en particulier Béatrice et Sébastien Biessy qui continuent depuis 27 ans de partager leur passion, que ce soit par ce Festival, le Hong-Hong French Theater Festival, ou avec la Comédie de la Mansonnière.

Toutes les critiques de cette 27ème édition sont sur le site de Théâtre Côté Cœur, à qui je dis bravo pour avoir rédigé, souvent tard dans la nuit, ses trois chroniques quotidiennes. Bluffant !

 

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