S’envoler avec l’oiseau vert…
Il est des spectacles qui, comme ça, vous emportent, vous emballent, et vous font aimer encore plus Twitter et la twittosphère…. parce que sans les gazouillis de certains vous seriez tout simplement passé à côté. L’oiseau vert, donc, est une fable philosophique de l’italien Carlo Gozzi : farce philosophique, mais surtout farce totalement déjantée où il est question d’un roi dépressif dont la femme a été enterrée vivante sous l’évier de la cuisine par la cruelle Reine Mère, cruelle Reine Mère qui a également fait tuer leurs jumeaux par son fidèle homme de main. Mais ce dernier n’a pas eu à cœur de les assassiner et les a jetés à l’eau après avoir mis des chiots à leur place dans leur berceau. Les deux enfants ont été recueillis et élevés par un couple de charcutiers ; ils ont grandi dans l’amour des livres et de la philosophie, mais quand ils apprennent, à 18 ans, qu’ils sont des enfants abandonnés, ils renient leurs parents et prennent la route à la recherche de leur famille. Ils rencontreront des pommes qui chantent, des statues qui parlent, de l’eau qui danse, un roi tombera fou amoureux de la jeune fille sans savoir qu’il est son père… Le tout est totalement fantasque, souvent abracadabrantesque, et c’est ce qui fait son charme absolu, doublé d’un humour féroce où les petites piques contre la philosophie, les philosophes, les vaniteux, les précieux, les assoiffés de richesse, sont hilarantes et savoureuses.
A la complexité et les méandres de cette histoire loufoque à souhait, Laurent Pelly oppose avec une intelligence et une clairvoyance remarquables un décor ultra sobre : une simple bâche ondulée sur laquelle évolueront les personnages. Seuls, les lumières – magnifiques – et quelques accessoires amovibles viendront figurer palais, châteaux, statues, valons, vergers, évier (!), maisons… Ainsi, le spectateur est emporté par le tourbillon de l’histoire et le vent de folie qui souffle sur le théâtre de la Porte Saint Martin par la seule force de l’histoire, des lumières, des costumes colorés ou sombres. Emporté aussi, par le jeu des comédiens, tous aussi survoltés qu’épatants : Emmanuel Daumas est un roi déprimé des plus burlesques, Marilu Marini est délicieuse en grimaçante et affreuse belle-mère, Nanou Garçia et Georges Bigot forment un couple de charcutiers truculents et touchants à la fois, Mounir Margoum est un oiseau vert poétique et malin, …. tous sont dirigés de main de maître, ils s’amusent et amusent dans un exercice périlleux où l’extravagance évite de justesse la caricature, le caustique le ridicule, laissant la magie l’emporter sur le reste.
Le spectateur, ébahi par ce théâtre où tout est fait à partir de rien, où tout est imaginé par la seule force des lumières, des accessoires et des comédiens, voit son âme d’enfant soudain se réveiller, emportée par le charme tourbillonnant et burtonien de cette histoire irrésistiblement drôle et d’une beauté saisissante. Waouh.
L’oiseau vert, de Carlo Gozzi
Mise en scène, costumes et décors de Laurent Pelly
Avec Pierre Aussedat, Georges Bigot, Sabine Zovighian, Emmanuel Daumas, Nanou Garcia, Eddy Letexier, Grégory Faive, Olivier Augrond, Marilú Marini, Jeanne Piponnier, Thomas Condemine, Fabienne Rocaboy.
Lumières Michel Le Borgne. Maquillages et coiffures Suzanne Pisteur.