Lost in translation
Je l’avoue, je ne connaissais pas encore le théâtre de Falk Richter et j’étais très curieuse de découvrir Under ice, d’autant qu’il est ici mis en scène par un metteur en scène lituanien, Artùras Areima, que l’on dit radical et très provocateur. Deux découvertes en un spectacle, et hop, me voilà courant à l’aventure.
La scène de château de St Chamand, nouveau lieu de La Manufacture, est entièrement recouverte de bouteilles en plastique. A cour, un homme dans un costume gris est enfoncé dans un fauteuil, entouré de dizaines de micros. Il semble perdu. A jardin, deux hommes en costume, casques de moto sur la tête, l’interrogent, assis devant des bouteilles pleines. Plusieurs écrans sont accrochés en fond de scène, ils diffusent des images qui défilent par dizaines. L’aliénation par le travail, l’accumulation d’images, d’informations, la recherche du toujours plus, toujours mieux, est représentée par ces trois consultants, l’un à terre et les deux autres lui démontrant que c’est un raté (c’est ce que j’ai cru comprendre).
Match de foot, dessins animés, talk shows, hommes politiques, les images défilent à toute allure sur les écrans, elles sont multiples, parfois aveuglantes. Je perds très vite le fil, assommée par cette accumulation, tout comme par le texte que je peine à suivre, la pièce étant dite en lituanien surtitré en français / anglais et l’écran sur lequel la traduction défile se trouve au centre de la scène, ce qui oblige les spectateurs à ne pas regarder les comédiens qui vont vite, très vite. Parfois je reconnais certaines phrases en allemand, sans comprendre pourquoi on change de langue. J’ai du mal à raccrocher texte et images. Le consultant (Mr Nobody) parle de son enfance, de sa bite, de ses parents, de son travail, puis revient sur sa bite qu’il avait oubliée (moi aussi) pour aussitôt revenir sur son job. Je suis de plus en plus difficilement le texte, étourdie par le spectacle qui se déroule sur scène. Les consultants Daft Punk gardent leur casque de moto quand ils dansent. Puis ils l’enlèvent pour se rassoir. Pas mal les gars. L’un d’eux se déshabille pour arborer un string noir avec une croix gammée dorée sur le sexe. Ah non, ce n’est pas une croix gammée, c’est une croix gammée inversée. Pas pareil. Peut-être qu’il explique ça quand il beugle, je n’ai pas eu le temps de lire la traduction sur l’écran. Ceci dit ça semble assez redondant. Je regarde, médusée. L’autre consultant tourne le dos au public et chante dans un micro avec lequel il se frappe les fesses. Puis il rechante en alternant les pan pan cucul avec le chant. Pendant ce temps Mr Nobody s’étrangle avec le fil d’un des micros. A priori c’est un suicide, les deux autres le laissent crever. Le consultant en string se travestit en diva. Je crois que l’autre fait l’amour à la table mais j’ai un doute. Pendant ce temps les bouteilles en plastique font toujours autant de bruit quand les comédiens marchent dessus ou les envoient valser d’un coup de pied. Mon voisin en reçoit une. Sur les écrans, les images n’ont jamais cessé de défiler à toute allure : Obama, Trump, le Roi lion, une fellation (j’ai rêvé?), Elizabeth II, Zidane, une pénétration (ah non, pas rêvé), encore Simba, Angela Merkel, Thierry Henry, ah oui c’est France Italie en 1998, hop re Simba. Hop re fellation. Tiens, l’autre est ressuscité. Finalement je perds totalement le fil, partagée entre consternation et hilarité, assourdie par le volume sonore de l’ensemble. Et au bout d’un moment c’est terminé.
Bref, j’ai vu du Artùras Areimas.
Under ice, de Falk Richter
Mise en scène Artùras Areimas
Avec Rokas Petrauskas, Dovydas Stončius, Tomas Rinkūnas
Costumes : Monika Gurskytė
Festival d’Avignon OFF 2018, La Manufacture, 10h35, relâche les 12 et 19 juillet