J’AI RENCONTRE DIEU SUR FACEBOOK – Ahmed Madani – Le Colombier

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Le théâtre hautement pédagogique d’Ahmed Madani

Après Illumination(s) et ses jeunes habitants du Val Fourré, après F(l)ammes et ses jeunes femmes brûlantes de vie et d’énergie, les attentats de 2015 et la méfiance qui en est ressortie envers les jeunes français musulmans ont poussé Ahmed Madani a reconsidérer son projet d’écriture : le fanatisme, l’embrigadement et la mort lui sont apparus comme une matière essentielle et urgente à dénoncer. Ici, point de jeunes hommes ou femmes débordants d’énergie qui veulent mordre la vie à pleines dents : nous avons une femme adulte qui, ayant su s’émanciper veut protéger sa fille et une jeune fille tout à fait normale qui peu à peu va basculer.

Dans un appartement que l’on imagine coquet (il n’y a aucun décor mises à part une table et une chaise) vivent Salima et sa fille Nina. Salima, issue de l’immigration, professeure, divorcée, partage avec Nina une belle complicité. Salima, l’émancipée qui n’a pas voulu courber devant le joug des traditions que sa propre mère a subies, élève Nina loin du carcan religieux imposé par sa propre famille. Salima l’émancipée pense qu’être elle-même une femme libre, instruite, indépendante, sera en soi un modèle de construction pour la jeune adolescente. Quand la meilleure amie de Nina meurt accidentellement, le choc, la déflagration, fragilisent la jeune fille qui trouve le réconfort sur les réseaux sociaux. Et quand on est fragile, jeune, avide d’exaltation, on est une proie facile pour les recruteurs islamistes. Aujourd’hui, Dieu, on le rencontre aussi sur Facebook.

Si l’énergie et la fougue brûlaient les écritures et les personnages des spectacles précédents, J’ai rencontré Dieu sur Facebook est plus grave. Ahmed Madani y aborde des thèmes comme la transmission transgénérationnelle, la difficulté à s’émanciper et la culpabilité qui peut en découler, le sentiment d’abandon à la mort d’une être proche, le besoin d’être compris et entendu chez une génération déchirée, en quête de repères et en proie à la stigmatisation depuis les attentats de 2015. Mounira Barbouch est lumineuse dans son rôle de mère persuadée de faire au mieux mais qui, obnubilée par son farouche désir d’émancipation et sa volonté ardente de faire de sa fille une femme libre, rejette la religiosité grandissante de Nina sans y suspecter une seule seconde un début de radicalisation. Louise Legendre est une Nina exaltée, jeune fille presque modèle et pleine de vie qui peu à peu bascule, manipulée dans sa soif d’idéal par un adolescent (Valentin Madani tout aussi crédule et naïf) et qui, face à la solitude, piétine le modèle maternel en érigeant en nouvelles valeurs le mode de vie de sa propre grand-mère, femme illettrée mariée et soumise. Salima sera terrifiée de voir sa fille devenir tout ce que, elle, a refusé d’être.

Si la vitalité et la fièvre de F(l)ammes ou Illumination(s) sont moins exubérantes et omniprésentes dans ce nouvel opus, il y a plus d’amour mais aussi plus de gravité. Dans son théâtre hautement pédagogique, Ahmed Madani continue d’alerter face aux dangers de la radicalisation et ses nouvelles facettes que peuvent être les réseaux sociaux, la solitude et le sentiment de rejet. On y rit cependant souvent, de dérision ou d’espoir, on y plonge aussi dans une douce mélancolie et dans une tendresse admirablement servie par le duo Mounira Barbouch – Louise Legendre. Comme si, face à la haine et la peur, seuls l’amour, l’éducation, l’écoute, peuvent et devront sauver les générations à venir. Personnellement, j’y crois.

 

 

J’ai rencontré Dieu sur Facebook, texte et mise en scène Ahmed Madani

Avec Mounira Barbouch, Louise Legendre, Valentin Madani.

Création sonore Christophe Séchet

Création vidéo Nicolas Clauss

Création Lumière et régie générale Damien Klein

Costumes Pascale Barré

Vu au Colombier à Magnanville

Tournée : MAC Créteil du 12 au 15 décembre 2018 – Brétigny sur Orge (théâtre Brétigny) le 12 janvier – Amiens (Comédie de Picardie) du 15 au 18 janvier – Vernouillet 28 L’atelier à spectacles les 24 et 25 janvier – Aubergenville, la Nacelle le 1er février – Clémont l’Hérault, Le sillon, les 21 et 22 février

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