Petits suicides entre amis
En 1975, Georges Conchon (scénariste) et Jacques Rouffio (réalisateur) s’inspiraient d’un double fait divers survenu à Reims : les suicides similaires de deux brillants chirurgiens. Tous deux faisaient de l’ombre à Brezet, puissant propriétaire de plusieurs cliniques concurrentes. Victimes de calomnies, de pressions et de chantage, ces deux hommes qui ne se connaissaient pas mirent violement et de la même façon fin à leurs jours, à plusieurs années d’intervalles.
Interprété par Charles Vanel, Guillaume Depardieu et Michel Piccoli dans les rôles principaux, Sept morts sur ordonnance devint donc un thriller psychologique, dessinant au vitriol la bourgeoisie provinciale, ses jalousies, ses manœuvres pour protéger ses avantages et ne reculant devant rien pour aboutir à ses fins.
En 2019, Anne Bourgeois et Francis Lombrail s’emparent à leur tour de cette histoire et portent sur la scène les histoires des Docteurs Berg et Losseray. Si je n’ai pas vu le film de Jacque Rouffio, je me faisais une joie, hier, de voir son adaptation à l’écran. Ici, point de décors encombrants ou illustratifs : de grands panneaux blancs seront successivement éclairés de vert, rouge, blanc ou autre, selon les scènes : belle et ingénieuse façon de moderniser un scénario et le rendre intemporel : on aime. Si les rôles secondaires n’ont pas à rougir de leur interprétation, Bruno Wolkowitch remporte la palme en incarnant un Losseray petit à petit rongé par le doute et la peur. Au début sûr de lui, le comédien parvient à entrainer le spectateur dans les affres qui l’assaillent et lui feront perdre la tête. Françis Lombrail campe un commissaire Giret avec intensité et nuances. Je suis un peu plus perplexe devant le jeu de Valentin de Carbonnières peu crédible en chirurgien cynique, et pour le coup très surprise de la direction d’acteur donnée à Claude Auffare : le comédien ne parvient pas à rendre son Brezet inquiétant ni ambigu. Le riche notable pervers et sans scrupules manque ici de charisme et de fiel, on n’y croit pas vraiment. Dommage.
(en revanche Claude Aufaure sera à compter du 12 février, toujours à Hébertot mais à 19h, dans le délicieusement british Voyage avec ma tante dont j’avais parlé ici : allez y !!) (fin de l’aparté)
Mais ce qui m’a sans aucun doute interpellée, c’est la mise en scène très minimaliste, statique qui manquait hier résolument de relief : les comédiens jouent souvent face public, dans une succession de scènes qui s’enchainent, ponctuées chacune par une musique pendant laquelle les comédiens viennent se placer. Chaque conversation téléphonique est terminée par un bruitage de téléphone raccroché ou ligne coupée – très inutile – pendant que le comédien sort de scène. Le tout manque de rythme, et les scènes semblent davantage empilées que véritablement liées. Du moins à mon sens : la personne qui m’accompagnait hier a bien plus apprécié que moi, se laissant emporter par l’intrigue psychologique et oubliant ces détails. La salle, très attentive, m’a semblé tout aussi partagée, et plusieurs bravos ont retenti aux saluts.
Bref, à vous de voir. Une chose est sûre, je vais enfin visionner le film.
Adaptation théâtrale Anne Bourgeois et Francis Lombrail
D’après le film réalisé par Jacques Rouffio et le scénario original de Georges Conchon
Mise en scène Anne Bourgeois
Avec Bruno Wolkowitch, Claude Aufaure, Valentin de Carbonnières, Jean-Philippe Puymartin, Julie Debazac, Francis Lombrail, Jean-Philippe Bêche, Bruno Paviot
Théâtre Hébertot, jusqu’au 31 mars 2019
Réservations au 01 43 87 23 23