Sami Frey, magicien passeur de texte à L’atelier
Quand Sami Frey entre sur la scène du théâtre de l’Atelier, immédiatement, en un quart de seconde, le public retient son souffle. L’homme, vêtu d’un pardessus usé, une besace en bandoulière, le cheveu toujours flou, le regard toujours aussi vif, le sourire toujours aussi énigmatique, suspend le temps et les conversations. C’est fou, cette aura que l’octogénaire traine toujours derrière et autour de lui. Sami Frey entre en scène et le temps suspend son vol. Sami Frey entre en scène et devient, là, tout de suite, ce personnage que Samuel Beckett a imaginé avec sa nouvelle Premier amour.
L’histoire, c’est celle de cet homme qui part de chez lui à la mort de son père. Délogé, il trouve refuge sur un banc avant de rencontrer une femme. Il s’installera chez elle, y entendra des hommes soupirer la nuit, se réveillera à son tour nu à ses côtés, verra le ventre de cette femme se gonfler, et partira un jour, assourdi par les pleurs du nourrisson.
Elle est étrange, cette nouvelle, étrange et fascinante tant elle nous rive aux lèvres de celui qui la raconte. Etrange et fascinante tant Sami Frey, avec son immense talent de passeur de texte, réussit à incarner, à faire vivre et ressentir, à rendre palpable chaque silence, chaque virgule, chaque respiration de la poésie si particulière de Beckett. Rares sont les comédiens aujourd’hui qui savent donner et dire un texte de cette façon à la fois très blanche et infiniment dense : ils ne cherchent pas à exister sur scène, ils font exister le texte et sont, par cette essence même qu’on appelle le talent, l’humilité, l’oubli de soi, ils sont, donc, leur personnage, le texte, l’auteur, son verbe et sa pensée.
Voir Premier amour c’est un peu s’abandonner à la langue de Beckett, à la mélodie de ses phrases, au rythme de ses mots : Sami Frey en est le magicien-passeur, subtil et discret poète au regard malicieux et au sourire en coin. Il s’en va après les saluts, avec cette discrétion délicate, aussi furtif qu’un rêve. Peut-être tout ceci n’était qu’un rêve, comme celui de cet homme, tout seul, sur son banc ? Qui sait ?
Premier amour de Samuel Beckett
De et avec Sami Frey
Théâtre de l’Atelier, jusqu’au 3 mars, réservations au 01 46 06 49 24