Dissection de l’amour
Une femme qui veut quitter son mari, une préparation au mariage qui tourne au vinaigre, un couple sans enfants qui joue à en avoir, une prostituée amoureuse de son client, une grossesse non attendue, une femme malade qui a oublié son mari… en vingt saynètes, Joël Pommerat dessine les relations amoureuses, le manque, la douleur, l’absence… Est-ce que l’amour véritable existe ? Est-ce que l’amour véritable peut durer ? Ne va-t-il pas s’effriter s’éroder s’user s’effilocher se dissoudre inéluctablement, quoi qu’il advienne et quels que soient nos efforts ? Existe-t-il une vie possible, sans amour, sans sentiments amoureux, filiaux, parentaux ou amicaux ? SI l’on en croit Joël Pommerat avec La réunification des deux Corées, la réponse serait non, tant les vingt tableaux qu’il propose sont autant de fractions de souffrance, de manque, de mélancolie, de désespoirs. Vingt tableaux, vingt saynètes où des êtres se séparent, se déchirent, se quittent, ou bien aimeraient tant être aimés, pouvoir aimer à leur tour.
Vingt instantanés très différents, tous déchirants, et pourtant ils fascinent, ils hypnotisent tant les comédiens de Pommerat incarnent cet amour, ces amours avec une vérité folle, avec une justesse de ton, de gestes, d’attitudes et de regards. J’ai eu la chance d’assister à une répétition publique de Ça ira (fin de Louis) (1) à sa création et Joël Pommerat semble laisser à ses comédiens la liberté de trouver, créer leur personnage : pourtant, il y a dans sa direction d’acteurs une précision millimétrée, mélange sans doute de liberté laissée et d’un gros travail de dissection du texte. Le résultat est là et les 9 comédiens sont épatants de justesse, incarnant avec une vérité poignante la douleur, les douleurs, les manques, de leurs personnages. La disposition bi-frontale accentue l’impression d’immersion, de plongée dans ses sentiments amoureux et malheureux, portés par une scénographie à la simplicité recherchée, entrecoupée d’intermèdes musicaux aussi beaux que mélancoliques.
« Vous faites pas de souci. tout va bien se passer puisque je me sens heureuse » dit la jeune femme enceinte à son médecin : on retiendra cette phrase, petite goutte d’espérance dans cet océan de tristesses, parce que, au final, de l’amour, même s’il est malheureux, existe encore. C’est ce que Joël Pommerat, en observateur et témoin de l’humanité, nous raconte.
© photos Elizabeth Carecchio
La réunification des deux Corées, texte et mise en scène Joël Pommerat
Avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu
Scénographie et lumières Éric Soyer
Théâtre des Amandiers, jusqu’au 17 février, réservations au 01 46 14 70 00