« Plus tard ça devient supportable. Quelque chose qu’on croit pouvoir surmonter mais qu’on porte toujours sur soi comme un manteau de plomb »
Ce quelque chose, c’est le deuil d’un enfant, ce deuil impossible à faire mais avec lequel il faut vivre. L’américain David Lindsay-Abaire en fait le point central de Rabbit hole, univers parallèles, et tisse autour de ce titre a priori improbable (on comprendra cependant pourquoi) une histoire d’une grande délicatesse. Becky et Howard ont perdu leur fils il y a huit mois. Un accident bête : les chiens courent après les écureuils et les enfants courent après les chiens ; une voiture passe avec à son volant un jeune homme de 17 ans et plusieurs vies volent en éclats, fracassées par une déflagration qui dépasse largement le cadre de la rue tranquille d’une ville moyenne aux États Unis. Depuis huit mois, Becky et Howard survivent au manque à l’absence et à la douleur qui les tenaille. Depuis huit mois, ils tanguent.
Claudia Stavisky aborde le texte de Lindsay-Abaire avec beaucoup de justesse : aucune emphase, aucun pathos, aucune surenchère ne viennent alourdir le propos. Dans cette grande maison hantée par les rires du petit garçon, les comédiens sont dirigés avec rigueur : Julie Gayet est une Becky toute en dignité qui s’efforce de continuer de vivre, Patrick Catalifo est un Howard émouvant, au chagrin aussi primaire que celui de sa femme est retenu. A leurs côtés Lolita Chammah donne à Izzy, la sœur de Becky un savant mélange d’exubérance et de solidité tandis que Christiane Cohendy est Nat, la mère de Becky : maladroite, gaffeuse, elle-même encore rongée par la mort d’un fils, la comédienne épate dans une partition difficile mais réussie. Renan Prévot est Jason, ce jeune homme qui conduisait la voiture. Rongé par la culpabilité, il cherche avidement le pardon de cette famille. Il écrit une nouvelle, Rabbit hole, univers parallèles où le temps serait suspendu entre plusieurs espaces parallèles, qu’il dédie au petit garçon.
« Si l’espace est infini, alors il y a des milliards de versions de vous et de moi. – Et là, c’est juste une version triste de nous. »
Il y aurait donc plusieurs espaces temps, et dans celui présenté en ce moment aux Bouffes Parisiens, on y parle de la douleur et du manque, et ce vide est en réalité rempli d’amour, rempli par la force de la résilience et cette irrésistible besoin de vivre qui retient Becky, Howard et les autres à la vie et leur donne la force de continuer. Rabbit hole, univers parallèles est une parenthèse qui oscille toujours entre humour et tristesse, désespoir et espoir, sans jamais sombrer dans un quelconque excès, se contentant de nous entrainer dans le sillage de cette famille à la fois dévastée par le chagrin et consumée par une flamme vitale qui refuse de s’éteindre. Laissez-vous vous aussi porter par cette force.
Rabbit hole, de David Lindsay- Abaire,, adaptation de Marc Lesage
Mise en scène Claudia Stavisky
Avec Patrick Catalifo, Lolita Chammah, Christiane Cohendy, Julie Gayet et Renan Prevot
Théâtre des Bouffes Parisiens, jusqu’au 31 mars
Réservations au 01 42 96 92 42