Un dîner presque parfait
Elle est toute frêle, cette femme qui dine tranquillement avec ses convives sur la scène du Petit Saint Martin. Toute frêle, souriante, elle semble dédiée à ses invités qu’elle choie tout en papotant. Ses invités sont d’ailleurs quatre spectateurs, mais nous en parlerons plus tard. Le reste du public arrive et se place tandis que le diner semble s’étirer dans cette langueur des soirées que l’on veut prolonger. Puis petit à petit les lumières se tamisent et la femme commence à parler : le timbre un peu plus haut, la voilà qui raconte. Sa rencontre avec son mari, sa carrière, le mariage, les enfants. Une vie qui semble banale, une histoire de couple et de femme. Les souvenirs s’enchainent sans véritablement se suivre, comme s’ils remontaient selon un fil discontinu le cours d’une union idyllique qui peu à peu s’effiloche : quand l’amour laisse place à la violence, petit à petit, insensiblement.
Le texte de Dennis Kelly peut laisser de marbre dans les premiers moments. On peut être perplexe devant cette comédie bourgeoise et se demander « So what ? ». Ce fut le cas pour moi mardi soir, mais petit à peti, certaines scènes commencent à semer le doute. Des presque apartés dans ce joli récit laissent apparaître les premières fissures d’un tableau trop parfait. Le spectateur s’interroge, puis retourne dans le confort ouaté d’une existence paisible, jusqu’à la prochaine fissure puis jusqu’à la déchirure finale, qui, elle, le laissera exsangue. Pour monter ce texte, Mélanie Leray a eu l’idée brillante d’imaginer un dîner, une série de confidences. En invitant à la table de cette femme, cette mère, quatre spectateurs, la metteure en scène donne au texte une intensité, une proximité des plus percutantes : non seulement les quatre happy few (qui se seront fait connaître au moment des réservations) (tentez votre chance !) mais aussi le reste de la salle va vivre ce monologue d’une heure trente avec un intensité et une vérité vertigineuses. La salle entière est le témoin privilégié d’une histoire aussi terrible que frappante, une histoire presque banale de violence, de manipulation et d’oppression.
Constance Dollé, comédienne protéiforme
Cette histoire ne serait pas véritablement saisissante, poignante, sans l’interprétation de Constance Dollé, dont la palette de jeu est fascinante : presque habitée par plusieurs personnages en même temps, la comédienne, d’un regard, d’une intonation, d’un posture, se métamorphose et devient mère, femme, amante, soumise, amoureuse, terrifiée, résignée… on en est, aux saluts, au même stade que les quatre privilégiés sur la scène : sans voix et pétrifiés, ébahis par l’histoire mais aussi, et surtout, par la mise en scène d’une grande intelligence de Mélanie Leray et l’interprétation envoûtée, et envoûtante de Constance Dollé.
Girls and boys, de Dennis Kelly
Mise en scène Mélanie Leray
Avec Constance Dollé
Scénographie Vlad Turno
Lumières François Menou
Théâtre du Petit Saint Martin, jusqu’au 31 mars
Réservations au 41 08 00 32
Dennis Kelly va bien à Mélanie Leray. J’avais beaucoup apprécié son adaptation de « Contractions » avec Marie Denarnaud et Elina Lowensohn.
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Je ne l’ai pas vu. C’est la première mes de M. Leray que je vois (et j’apprécie:)
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