
Jan Versweyveld
Electre Oreste : le poids des mots le choc des photos
Après Les damnés Ivo van Hove est de retour au Français avec une adaptation des deux tragédies d’Euripide Electre et Oreste. Electre et son frère Oreste, enfants d’Agamemnon, ont été bannis de leur palais après que leur mère Clytemnestre ait demandé à son amant Egisthe d’assassiner leur père. Dans la misère, Electre vit dans la ferme d’un paysan à qui elle a été mariée tandis qu’Oreste vit dans le palais de son cousin Pylade. Quand Oreste et Electre se retrouvent, ils décident de venger leur père en tuant Egisthe. Oreste se chargera du crime, et Electre lui demande de tuer aussi leur mère, Clytemnestre. Après ce matricide, la culpabilité plonge Oreste dans la démence.
De bruit et de fureur…
Il est donc question de violence, de folie et de vengeance dans ces deux tragédies qu’Ivo van Hove regroupe en deux petites heures. Il va à l’essentiel, recentrant l’intrigue sur les rapports entre Electre et Oreste. On ne verra aucun des meurtres, seul deux cadavres largement ensanglantés seront ramenés par les meurtriers. Et pourtant, on en aura, du sang, de la boue et des larmes pendant ces deux heures. Et pourtant, on en aura, des cris et des bruits (grâce aux percussions du trio Xenakis installées en fond de scène). Et pourtant, on en aura, des lumières brunes, rouges ou jaunes qui viennent éclairer les comédiens par les cintres. On aura aussi des guenilles grisâtres pour les paysans et des costumes bleu roi pour les autres. Que d’effets qui viennent surligner, souligner, encadrer un texte qui n’en nécessite pas tant ! Que de grandiloquence inutile dans les images de Jan Versweyveld et ses effets poussés à l’excès ! Certes le tout revêt une volonté de créer du beau, des images-choc façon papier glacé et des réactions… mais le spectateur a-t-il autant besoin d’explications ? Ivo van Hove et son complice considèrent-ils qu’il faut absolument en mettre plein la vue (et les oreilles) pour frapper durablement le public et l’emporter ?
Direction d’acteurs, vraiment ?
Pendant deux heures j’ai vu des comédiens gesticuler, des chorégraphies tribales parfois et ridicules (quand le chœur, représenté par les paysannes avec lesquelles vit Electre, entame presque une Haka, j’ai pouffé), j’ai vu Oreste sortant de terre (ultra boueuse) ressemblant à un mort vivant, Pylade invoquant Zeus dans une lumière orange, (percussions tonitruantes à l’appui). J’ai vu des poses-images réfléchies, calculées, … mais il manquait samedi dernier une singularité, une intériorité dans cette représentation concentrée sur le visuel et ses effets. Ivo van Hove, qui souhaitait depuis longtemps monter Electre (source programme) s’est vu mettre à disposition la formidable troupe du Français et ses moyens. Un matériau de luxe qui semble être dirigé uniquement au service de ses fantasmes : j’ai regretté samedi dernier qu’ils semblent si peu s’amuser. Certes Suliane Brahim, (qui était une Juliette magnifique), est une féroce et cruelle Electre, certes Christophe Montenez incarne un Oreste tiraillé entre haine et désespoir (je préférais néanmoins grandement son ambiguïté dans Les damnés), certes Loïc Corbery est un Pylade convaincant et Bruno Raffaelli particulièrement excellent en vieil homme… mais Denis Podalydès était presque transparent, lui qui habite habituellement la scène dès qu’il y entre, Didier Sandre, lui qui était un excellent Géronte, était ici un Tyndare incongru, ressemblant davantage à un parrain de la pègre, sans parler de Gaël Kamilindi qui surgit en Apollon entièrement nu sous sa tunique transparente dorée pour le final…
Effet pschitt…
Plus le temps passe et plus je me dis qu’il ne me reste déjà rien de ce spectacle alors que les Damnés sont encore tellement présents dans mon esprit. Plus le temps passe et je me dis que de cet Electre Oreste ne resteront que certaines images-choc mais qu’elles s’estomperont aussi rapidement que des éclairs, et que les comédiens français méritent bien, bien mieux que ça.
Electre Oreste, d’après Euripide
Traduction Marie Delcourt-Curvers
Version scénique Bart van den Eynde et Ivo van Hove
Scénographie et lumière Jan Versweyveld
Avec : Claude Mathieu, Cécile Brune, Eric Génovese, Bruno Raffaelli, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Julie Sicard, Loïc Corbery, Suliane Brahim, Benjamin Lavernhe, Didier Sandre, Christophe Montenez, Rebecca Marder, Gaël Kamilindi
Comédie Française jusqu’au 3 juillet 2019
Réservations au 01 44 58 15 15