
JL Fernandez
Suzy Storck, mère par politesse
On ne verra pas la forêt, dans ce Suzy Storck monté au Théâtre du Peuple cet été par Simon Delétang puisqu’il s’agit du spectacle du soir. On ne verra pas la forêt, mais une scène d’un blanc immaculé. A cour, une montagne de linge sale grimpe jusqu’au plafond. A jardin, un lave-linge dont le hublot s’éclaire régulièrement. Un plafond de néons blancs incliné surplombe le tout.
C’est le narrateur, tel un chœur (Simon Deletang), qui nous présente l’histoire de Suzy Storck et de son mari, Hans Vassili Kreuz. Une histoire qui se déroule sous les yeux du spectateur telle une tragédie inéluctable. Dés le début, on sait qu’il s’est passé quelque chose et l’histoire petit à petit va remonter le temps.
La femme est-elle prédestinée à avoir des enfants, les aimer, les protéger, devenir mère est-il sa finalité absolue ? A travers l’histoire de Suzy Storck c’est un conditionnement social que vient décrire Magali Mougel, jeune autrice vosgienne montée sur les planches du Théâtre du Peuple (l’utopie théâtrale de Maurice Pottecher y voit ici un de ses accomplissements).
Dans la région sinistrée où vit Suzy, rares sont les opportunité d’embauche et les avenirs sont tracés d’avance :
« C’est que très tôt on détermine le potentiel de l’enfant / On détermine si on sera plutôt apte aux volailles aux fringues ou aux couches… / …Elle aurait pu être couturière / Mais quand on estime que le CAP couture / ce n’est pas assez digne / alors / on passe un CAP sanitaire et social / ou un CAP petite enfance / puis un bac technique après une première de réadaptation. »
Suzy Storck (habitée et envoûtante Marion Couzinié) est donc mère non pas par hasard mais par politesse à moins que ce ne soit par culpabilité : pour satisfaire un modèle social, entrer dans un moule qui semble naturel à son mari (Charles-Antoine Sanchez) (« J’ai l’impression qu’il n’y a que moi qui me crève. Je rentre du travail, je me crève à travailler, tu n’as pas à travailler ») et sa mère (Françoise Lévy) (« Ce n’est pas parce que ça n’a pas été une partie de plaisir pour moi que tu ne peux pas me donner un petit-fils »), la jeune femme devient donc mère d’une famille nombreuse en quelques années seulement.
Le texte est fort, cinglant. Régulièrement répétitif, il martèle à l’envi l’enclavement des femmes dans un rôle qui leur est assigné mais qu’elles n’ont pas forcément choisi et subissent. Soumission aux normes sociales, soumission aux aléas économiques quand enfanter est imposé comme la justification d’une existence voire de son utilité, charge mentale étouffante, Magali Mougel dessine lentement les contours d’une tragédie que Simon Delétang porte à la scène de façon crue. Sur ce plateau blanc et sous les néons aveuglants, seuls la montagne de linge sale et le lave linge viennent occuper l’espace. Les personnages, face public, martèlent un texte qui devient aussi obsédant que la charge mentale de Suzy, régulièrement interrompus par les musiques dance floor (What is love, Haddaway) sous une lumière stroboscopique : dans ce dénuement, seule la tragédie ressort, frappante, cinglante.
« Un joli couple avec de jolis enfants. C’est un peu la maison du bonheur cette maison » dit Madame Storck. Suzy Storck, héroïne tragique et universelle, aurait sans doute aimé que cela soit vrai. Son destin était tout autre.
Suzy Storck, de Magali Mougel
Mise en scène Simon Deletang
Avec Marion Couzinié, Simon Delétang, Françoise Levy, Charles-Antoine Sanchez ;
Théâtre du Peuple, jusqu’au 7 septembre 2019 Réservations au 03 29 61 50 48