Fruit de l’utopie humaniste d’un jeune homme de 29 ans à la toute fin du 19ème siècle, le Théâtre du Peuple a d’abord vu le jour dans les rêves de Maurice Pottecher, qui rêve de percer à Paris. Ses pièces sont refusées par la Comédie Française, il décide de réaliser son rêve dans ses Vosges natales : Maurice Pottecher, accompagné de sa femme et comédienne Camille de Saint Maurice (de son nom de scène Georgette Camée) pose la première planche (le théâtre est entièrement construit en bois) du Théâtre du Peuple au bout d’un pré cédé par son père, alors maire de la ville. Caractéristique notable du bâtiment : le fond de scène est ouvert sur la forêt. C’est ce qui fait encore aujourd’hui la réputation du lieu, devenu Monument Historique en 1976 : en découvrant la scène ouverte sur la végétation vosgienne, on a le souffle – et le verbe – coupé.
Un théâtre pour le peuple, par le peuple
Maurice Pottecher veut un « théâtre pour le peuple, par le peuple » : une troupe qui sera aussi représentative de la diversité sociale et dans laquelle le peuple doit se reconnaître : chaque année, l’équipe est choisie parmi les amateurs locaux qui se précipitent pour prendre part aux projets du Padre, tel qu’est surnommé le fondateur du lieu.
L’histoire est connue, je ne reviendrai pas dessus. Aujourd’hui encore près de 60 ans après la mort de son fondateur, le théâtre du Peuple continue de fonctionner selon des règles immuables et conformes à ses dernières volontés : la représentation de l’après-midi débute à 15h et doit accueillir a minima deux tiers de comédiens amateurs, la mise en scène doit inclure l’ouverture du fond de scène sur la forêt vosgienne. L’organisation du lieu est confiée depuis 1931 à l’Association Théâtre du Peuple – Maurice Pottecher : une petite équipe de permanents veille à ce que l’esprit et la philosophie du lieu soient préservés. L’association est également en charge de recruter le directeur du théâtre pour un mandat de 4 ans renouvelable une fois pour 3 ans. Ainsi, après Pierre Richard-Willm, successeur immédiat et fils spirituel de Maurice Pottecher, Jean-Claude Berutti, Philippe Berling, Christophe Rauck, Pierre Guillois, entre autres, ont été Directeurs du Théâtre du Peuple. Depuis 2017, Simon Delétang en assure la direction.
L’an dernier je découvrais Bussang et le Théâtre du Peuple. Accompagnée de Théâtre Coté Cœur, Amériquebecquoise et 4ème mur, nous tombions instantanément et irrémédiablement amoureuses du lieu. Ce fut immédiat, ce fut brusque, ce fut pour toujours. La graine était plantée, il lui suffit de grandir tout l’hiver. Cette utopie, cette philosophie humaniste m’avaient profondément touchée : puisque j’aimais tant, il fallait aller au delà du simple statut de spectatrice et épouser moi aussi cet esprit, il fallait que je le fisse mien. Je décidais de proposer ma candidature pour devenir bénévole. Cerise sur le gâteau, mon compagnon acceptât immédiatement de me suivre dans ce projet.
Bénévole, c’est quoi ?
Disons le tout de suite, être bénévole au Théâtre du Peuple ce n’est pas du tourisme. Clairement, on travaille, que ce soit au parking (le théâtre ne comporte pas moins de 4 parkings répartis tout autour, plus un parking réservé aux PMR et un autre aux retardataires), au bar (préparation du matin, service (avant et après spectacle, entracte), vaisselle des impressionnantes piles d’assiettes qui s’accumulent très vite)), à l’accueil en salle des presque 800 spectateurs, aux ventes de produits dérivés ou de glaces, ou encore l’installation des transats dans le parc… (cette année nous pouvions aussi, si nous le souhaitions, être figurants dans le spectacle de l’après-midi).
Je le disais tout à l’heure, on n’est pas bénévole au Théâtre du Peuple pour jouer à la marchande, passer le temps ou afficher une photogénique bonne conscience. Être bénévole demande de l’investissement, du travail, un vrai désir de donner, de prendre part à un projet d’envergure dont on ne sera jamais qu’une des petites fourmis qui y ont participé. Être bénévole demande de la conviction, de l’enthousiasme, du désir. Être bénévole demande de la générosité et de l’abnégation.
Que reçoit-on en retour ? Hé hé, quelque chose d’intangible et d’immatériel : la joie d’avoir donné (son temps, ses RTT, son énergie) sans rien attendre en retour, le bonheur d’avoir rencontré d’autres bénévoles tout aussi sincères et une équipe fabuleuse, le plaisir de dizaines de conversations et échanges, même brefs sur un des parkings, au bar, dans la salle, dans le parc, avec des spectateurs toujours bienveillants, l’immense et intime satisfaction d’avoir, pendant cinq jours, touché du doigt le rêve pottecherien et d’avoir fait partie, à son infinitésimale façon, de ceux qui le font perdurer en apportant leur tout, tout petit caillou à l’édifice.
Par l’art, pour l’humanité, dit la devise gravée de part et d’autre du fronton de la scène. C’est exactement ça : année après année le théâtre du Peuple contribue à faire grandir notre humanité.
Merci et love éternel à :
Simon, Alice, Clélie, Héloïse, Cécile, Nicolas, Marina, Tom, Elodie, Lise, Laure, Antoine, tout comme à Jean-Cyrille, Odile, Françoise, Julien, Carole, Sylvain, Coralie, Daniel, Suzanne, Louise, Julie, Christophe.
Pour aller plus loin : Le Théâtre du Peuple de Bussang:120 ans d’histoire», de Bénédicte Boisson et Marion Denizot, Arles, Actes Sud, 2015