Julie Deliquet, conteuse hors pair
Quand j’ai vu Vania, à la Comédie Française il y a trois ans, je suis tombée immédiatement en amour pour le travail de Julie Deliquet. Mélancolie(s) au théâtre de la Bastille, ou encore Fanny et Alexandre, encore au Français, confirmaient son talent pour saisir et dessiner avec subtilité les conflits sinueux et silencieux qui rongent les familles. Elle renouvelle l’exercice en adaptant encore, après Fanny et Alexandre, un scénario : cette fois-ci c’est celui d’Arnaud Desplechin, Un conte de Noël.
C’est la voix de Joseph, quatre ans, l’enfant de Junon et Abel, qui ouvre le spectacle. Joseph, atteint de myélodysplasie est décédé à l’âge de quatre ans. Sa sœur Elizabeth n’étant pas compatible, Junon et Abel ont alors conçu Henri, dans l’espoir que ce bébé serait compatible et qu’un greffe de moelle osseuse sauverait Joseph. Il ne l’était pas et Joseph mourut. Henri, le bébé inutile, grandit à l’ombre de sa sœur Elizabeth et de son petit frère Ivan. Bien des années après, la famille se réunit pour Noël. Junon a développé la même maladie que Joseph et doit subir une greffe. Tous les enfants ont fait les tests, et seuls le fils d’Ivan, Paul, atteint de troubles psychiques, et Henri, le fils « inutile », sont compatibles.
Julie Deliquet est une remarquable directrice d’acteur : le collectif In Vitro (auquel se sont joint quelques nouveaux) qu’elle a créé propose ici un travail choral formidable où tous jouent ensemble, font et défont les liens distendus et friables qui étouffent autant qu’ils soudent les membres d’une famille disloquée. De Stephen Butel, insupportable et provoquant Henri à Hélène Vivies, vibrante Sylvia, en passant par Marie-Christine Orry (Junon) capable d’asséner les pires horreurs avec un détachement monstrueux, ou Thomas Rortais (déroutant Paul) et Jean-Marie Winling (Abel, observateur passif du délitement de sa famille), chacun, ensemble dessine le tableau à la fois saisissant et effroyable d’une famille dysfonctionnelle liée autant par l’amour que par la haine.
La mise en scène et le dispositif bi-frontal permettent au spectateur d’observer à loisir, tel un entomologiste, le déchirement de cette famille. Si Julie Deliquet a repris un scénario, elle réussit ici à en faire un véritable moment de théâtre vivant, vibrant, offrant autant de moments de fougue que de latence, suspendant parfois le temps pour mieux le faire exploser quelques minutes plus tard. Encore une fois, elle excelle, et notamment dans les scènes de repas où les familles se retrouvent (la représentation théâtrale est bijou), utilise avec brio la musique pour faire dire à ses personnages ce qu’ils ne savent exprimer, et réussit à immerger le spectateur par d’infinis petits riens et d’immenses grand tout.
Dans cette famille Vuillard, le théâtre est omniprésent avec une fille metteur en scène (Elizabeth), un fils directeur de théâtre (Henri) et des mini pièces à chaque repas de famille : Julie Deliquet et le collectif In Vitro s’emparent de ce matériau théâtral au possible, le malaxent et le travaillent avec leurs tripes pour en faire un pur et vrai, intense, moment de théâtre abouti et vibrant.
Je crois bien que mon histoire avec Julie Deliquet est loin d’être finie.
Un conte de Noël, d’après le scénario d’Arnaud Desplechin
Adaptation et mise en scène Julie Deliquet, Collectif In Vitro
Avec Julie André, Stephen Butel, Éric Charon, Solène Cizeron, Olivier Faliez, Jean-Christophe Laurier, Marie-Christine Orry, Agnès Ramy, Thomas Rortais, David Seigneur, Hélène Viviès, Jean-Marie Winling
Théâtre de l’Odéon, jusqu’au 2 février 2020 – Durée 2h20
Festival d’Automne à Paris
Réservations au 01 44 85 40 40