AVANT LA RETRAITE – Thomas Bernhard – MES Alain Françon – Théâtre de la Porte Saint martin

JL Fernandez

Avant la retraite : La monstruosité sublimée par Alain Françon

C’est un grand appartement bourgeois que l’on découvre sur la scène de théâtre de la Porte Saint Martin. A la fois austère et impressionnant, meublé et décoré sans apparat, surplombé de larges et hautes fenêtres sans rideaux. C’est ici que vit la famille Höller : le frère, Rudolph prendra prochainement sa retraite de juge. Il cache soigneusement son passé d’officier SS pendant la guerre. Ses deux sœurs vivent avec lui : Vera, la sœur incestueuse qui admire et vénère son ainé, et Clara, l’ancienne institutrice qu’un bombardement allié a rendue infirme quelques semaines avant l’armistice.

Rudolph et Vera vivent dans la nostalgie du nazisme et fêtent, chaque année, l’anniversaire de Himmler le 7 octobre. En cachette, Rudolph revêt son ancien uniforme de obersturmbahnführer SS, que Vera aura soigneusement nettoyé et repassé. Repas de fête, champagne, chaque anniversaire est l’occasion d’honorer leur héros et cette idéologie qui les hante. Chaque anniversaire est l’occasion de replonger dans les vestiges d’un passé peu glorieux que Véra et Rudolph glorifient. Chaque année la torture est la même pour Clara profondément anti-nazi qui doit supporter leur nauséabond vomi verbal, impuissante dans son fauteuil.

Cette pièce d’une noirceur absolue, composée essentiellement de deux soliloques aussi obscènes qu’abjects, pourrait rebuter tant les propos tenus par Vera et Rudolph provoquent : antisémites, nostalgiques du nazisme, les deux répètent à l’envi leur haine du monde moderne, leur haine du vivre-ensemble, leur haine de cette nouvelle Allemagne sans Himmler et sans Führer. Condamnés à taire en société leurs convictions rances, ils lâchent en privé les digues de leur aigreur et s’en donnent à cœur joie le temps d’une soirée-mémoire où les masquent tombent.

Difficile à monter autant que difficile à jouer, sans aucun doute, sauf, ici au théâtre de la Porte Saint Martin, tant Alain Françon transforme l’indigne en farce tragi-comique à laquelle le spectateur assiste, tantôt révulsé, tantôt saisi d’un rire amer. Alain Françon fait des merveilles, donc, tant sa mise en scène, ultra sobre, la seule qui s’imposait, repose intelligemment sur le texte seul. Pas d’effet, pas d’affect, seuls ses comédiens font vivre le texte à la seule force de leur talent. Et ils en ont, tant les trois réussissent à captiver dans l’horreur et l’abjection.

Catherine Hiegel, en premier lieu, ouvre le bal et, pendant quasiment 45 minutes, va presque soliloquer, face à une Noémie Lvovsky quasi-mutique : monstrueusement sublime ou sublimement monstrueuse, elle captive le spectateur, suspendu à ses lèvres et au fiel qu’elle déverse comme un small talk tout à fait anodin : sidérant, bluffant.

André Marcon en fera autant à son tour, pathétique clown accroché à son idéologie rance, moitié bourreau moitié pauvre type, moitié monstre moitié décérébré obéissant à sa hiérarchie.

Quant à Noémie Lvovsky, elle impressionne dans un rôle difficile car quasi muet et toujours immobile, sœur coincée dans son fauteuil roulant, condamnée à subir les discours de ses frère et sœur, dépendante elle aussi de son frère pour survivre. Noémie Lvovsky joue donc avec ses yeux, avec son corps immobile, avec son visage, et réussit avec ces riens à exprimer toute le dégoût et l’ironie amère et acerbe qu’elle éprouve et subit.

Une famille dysfonctionnelle où les uns dominent les autres, des liens tissés dans une perversion amorale et pourtant, parfois, terriblement humaine,  Thomas Bernhard laissant lucidement apercevoir la petite part d’humanité terrée et enterrée en chacun d’entre eux, et rendant ainsi la satire encore plus percutante.

Glaçant et fascinant. Du grand, du très très grand Françon.

Avant la retraite, de Thomas Bernhard

Mise en scène Alain Françon

Avec Catherine Hiegel, Noémie Lvovsky, André Marcon, et la participation de Helena Eden

Décor Jacques Gabel

Théâtre de la Porte Saint Martin, jusqu’au 29 novembre

Horaires « couvre feu » le vendredi à 18h, le samedi à 17h, le dimanche à 16h

Durée environ 2h

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