
Hecq plus ultra
On se doutait qu’avec Valérie Lesort et Christian Hecq ce Bourgeois gentilhomme monté au Français serait un grand moment comique. Que la comédie satirique de Molière, sous la houlette de ces deux-là saurait allier magie visuelle – le talent de la plasticienne Valérie Lesort n’est plus à prouver – et drôlerie forcenée, le talent comique de Christian Hecq n’étant plus, non plus, à démontrer.
Et c’est le cas, avec ce Monsieur Jourdain qui entraine la salle dans sa folie drolatique : le bourgeois enrichi cherche à s’initier aux us et coutume des gens de qualité, ces gentilhommes qui le fascinent. Danse, musique, philosophie, armes, le bourgeois prend leçon, s’efforce tant bien que mal d’acquérir esprit et bonnes manières, se couvrant bien plus souvent de ridicule que de louanges.
La direction d’acteurs de Valérie Lesort et Christian Hecq cultive à loisir les ressorts comiques de la pièce et chacun des comédiens exploite à fond son personnage : Gaël Kalimindi campe un maître de danse puis un maître tailleur hilarants à souhait, Jean Chevalier un maître d’armes transformé (je ne l’ai pas reconnu), Nicolas Lormeau un maître de musique hirsute et hiératique, tandis que Guillaume Gallienne est désopilant en maître de philosophie monstrueusement drôle ou drôlement monstrueux, au choix. Les autres sont au diapason, de Sylvia Bergé en puritaine Mme Jourdain à Véronique Vella (Nicole), en passant par Laurent Stocker, Yoann Gasiorowski, Françoise Gillard, Géraldine Martineau ou encore Clément Hervieu-Leger. Au centre de cette équipe Christian Hecq excelle en mimiques et facéties et incarne un Monsieur Jourdain aussi touchant que parfaitement ridicule : on l’aimerait presque s’il n’était pas aussi buté ! Des musiciens accompagnent cette comédie-ballet en donnant un petit coup de peps Balkan parfaitement vivifiant à la musique de Lully.
Noir c’est noir
Il y a de la folie dans ce Bourgeois démesuré à la scénographie (signée Eric Ruf) impressionnante : un austère décor entièrement noir (qui deviendra doré quand Monsieur Jourdain le repeindra) jusque dans les costumes des serviteurs et habitants de cette maison. Seules touches de couleurs, les costumes décalés de Monsieur Jourdain ou ceux de Dorante et Dorimène, ou bien les apparitions de marionnettes. Mais trop de noir tue le noir et si j’entends parfaitement la nécessité d’une obscurité totale pour permettre la manipulation des marionnettes, le tout reste quand même bien sinistre, ce qui est parfois dommage. La dernière partie avec la réception organisée par M. Jourdain pour le Grand Turc apportera la couleur nécessaire pour raviver le tout, avec notamment l’apparition – là j’ai pensé « Waouh » – d’un magnifique éléphant : mais ne gâchons pas la surprise !
Que dire pour finir ? Par moments la recherche d’effets comiques à tout prix prend le pas sur le texte qui devient alors le faire-valoir du savoir-faire burlesque de Christian Hecq et des effets visuels de Valérie Lesort : comédien et metteuse en scène ne s’effacent plus assez devant le texte. Mais je chipote, là, et la salle, hier, a ri et applaudi à de nombreuses reprises pendant la représentation pour finir par se lever en une standing ovation devant une troupe galvanisée. Finalement, c’est là l’important : faire revenir les spectateurs au théâtre, les faire rire, les faire oublier ces derniers 18 mois et leur donner une envie folle de réserver, à partir de janvier 2022, pour un (ou tous) des treize spectacles de ou autour de Molière qui seront donnés au Français, à l’occasion de 400ème anniversaire de la naissance de l’auteur. On a, très clairement, hâte d’y être.
Le bourgeois gentilhomme, de Molière.
Mise en scène Valérie Lesort et Christian Hecq
Scénographie : Éric Ruf
Costumes : Vanessa Sannino
Lumières : Pascal Laajili
Musiques originales et arrangements : Mich Ochowiak et Ivica Bogdanić
Marionnettes : Carole Allemand et Valérie Lesort
Avec : Véronique Vella, Sylvia Bergé, Françoise Gillard, Laurent Stocker, Guillaume Gallienne, Christian Hecq, Nicolas Lormeau, Clément Hervieu-Léger, Gaël Kamilindi, Yoann Gasiorowski, Jean Chevalier, Géraldine Martineau, Antoine de Foucauld, Nicolas Verdier.
Musiciens : Ivica Bogdanić, Rémi Boissy, Julien Oury, Alon Peylet, Victor Rahola, Martin Saccardy.
Comédie Française, jusqu’au 25 juillet, reprise en septembre – Durée 2h20