Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce – Cie Théâtre sur Cour

Rien, ici, ne se dit facilement !

Au départ, il y a, Louis, dans la force de l’âge à qui il ne reste plus qu’un an à vivre. Confronté à cette réalité, il décide de retourner auprès des siens pour essayer de leur dire, seulement de leur dire sa mort prochaine et irrémédiable.

Mais comment trouver les mots quand on est parti adolescent pour vivre sa vie loin d’eux ? Comment retrouver le chemin des siens quand on a seulement laissé le silence combler la béance laissée par l’absence ? 

Alors certes, dans cette famille, il y a de l’amour : l’amour d’une mère pour ces 3 enfants enfin réunis, l’amour parfois brutal entre frères et sœur et surtout l’amour atavique des gestes simples du quotidien autour du dîner dominical. 

C’est compliqué, de présenter Juste la fin du monde. Compliqué parce que le texte de Lagarce est difficile, âpre, sombre, noir. Compliqué parce que la langue de Lagarce, ses fameux vers libres, sont difficiles à dire, méritent d’être entendus ; parce qu’ils sont compliqués à jouer. Compliqué parce que ces vers, donc, peuvent perdre le spectateur dans les méandres de la langue largarcienne et dans les recoins d’une histoire familiale où les non-dits et les silences sont rois, où les mots sont murmurés et tus, où les maux doivent être devinés et ne sont jamais dits.

Compliqué parce qu’il y a une sorte d’atemporalité dans le texte, qui peut perdre le spectateur. Compliqué parce qu’on y parle de mort, de départ, de liens familiaux délités et de silences. Compliqué parce que rien n’est dit, et tout peut être su.

Compliqué donc parce qu’il y a le fils, Louis, l’ainé, celui qui est parti depuis longtemps. Il est malade et revient annoncer sa mort prochaine à sa famille.

Compliqué parce qu’il y a la mère, et puis l’autre fils, Antoine, et puis l’autre fille, Suzanne, la petite dernière, la petite soeur. Et il y a aussi la femme du frère, Catherine. Cela fait des années qu’ils n’ont pas vu Louis. Des années que celui-ci est parti.

Voilà, le décor est posé. Ça peut commencer : le prologue, un homme, de dos, il court. Il tombe. On saura que c’est Louis, celui qui va mourir. Et puis de l’autre côté la famille, comme dans une boite. Elle attend. Elle ne sait pas encore.

C’est compliqué de monter un Lagarce et c’est encore plus compliqué d’en parler. La compagnie Théâtre sur cour, fidèle au Festival de Maisons Laffitte depuis des années, nous a proposé hier une version d’une belle sobriété. Deux espaces clairement délimités, la cuisine familiale d’un côté, et un banc, seul, de l’autre côté. Les comédiens évolueront entre ces deux espaces, les faisant leurs au fil du récit qu’ils déroulent. Une scénographie austère par son dénuement mais pleinement utilisée, les comédiens jouant aussi avec la profondeur du plateau, des ombres et des lumières. 

C’est compliqué, de jouer du Lagarce, et surtout ce Juste la fin du monde : tous, parfaitement dirigés, incarnent ces mots et ces maux. Jef Leconte y est d’une grande sobriété, tout comme ses camarades de jeu. Suzy Dupont (la mère), Philippe Sourrigues (Antoine) et Claire Garoche-Cambie (Suzanne) les accompagnent avec justesse. Mais j’avoue que c’est le jeu de Valérie Tribout, (Catherine), qui m’a le plus séduite : la comédienne manie la langue de Lagarce avec une étonnante limpidité, la sinuosité du texte devient chez elle fluidité des mots ; elle sera mon coup de coeur du festival.

C’est compliqué, donc, de monter ce Juste la fin du monde. La compagnie Théâtre sur cour a prouvé haut la main qu’on peut aborder ce texte, difficile, et le rendre lumineux. Le jury ne s’y est pas trompé en lui attribuant le Grand prix du festival de Maisons Laffitte hier, ainsi qu’à Susy Dupont  (la Mère) le prix d’interprétation féminine.

Juste à fin du monde, Jean-Luc Lagarce, Compagnie Théâtre sur Cour

Festival de théâtre de Maisons Laffitte

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2 réflexions sur “Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce – Cie Théâtre sur Cour

  1. Je tenais à vous féliciter pour tout le travail approfondi de critique théâtre que vous menez.
    À titre plus personnel, je souhaite vous remercier très chaleureusement pour cette belle critique que vous offrez ici à notre troupe pour notre travail sur Juste la fin de monde, et à moi en particulier. J’estime sincèrement votre travail de critique, et je suis réellement touchée et émue par votre critique. Merci.

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